On commence à l’avoir compris, l’Italo Disco et ses obscures ramifications electro et house préhistorique compte chaque jour un peu plus d’adeptes. Tout avait commencé dans le noir avec quelques compilations tordues, le Mixed up in the hague du hollandais I-f, les compilations Zyx records et I-robots d’Irma, les Unclassics brillants et totalement obscurs de Morgan Geist, et puis les obsessions leftfield de quelques producteurs autrefois excentriques passé de la soupe electro disco primordiale de Larry Levan, Ron Hardy et Patrick Adams au creuset européen de Fred Petrus, Claudio Simonetti et Georgio Moroder (Daniel Wang, Marco Passarani, Idjut Boys, Chicken Lips). Puis les heureuses entreprises de Clone records, Rong Music ou Crème Organization, apposant reconstitutions fétichistes (Freak Electrique, Legowelt, Alden Tyrell, Bangkok Impact) et excavations fabuleuses, ont emmené dans leur sillon comebacks à la pelle (Robotnick, Black Devil Disco Club) puis mitoses et méioses de références cheesy chez les excentriques (Gabe Catanzaro, Pete Herbert, Putsch ’79) comme chez les branchouilles (de Joakim à Booka Shade, tout le monde fait de l’italo). Enfin, et c’est ce qui nous préoccupe, l’italo s’est fondue de la plus belle, de la plus liquide, la plus psychédélique des manières dans les tracks excentriques de quelques barbus du grand Nord plus certainement élevées à Abba, Can et Arthur Russell qu’aux derniers bangers electro à la mode.
« Mon premier rapport à la musique, c’est les radios locales à Stavanger, vers 82, 83. Limahl, Cindy Lauper, Wham, Grandmaster Flash, Fancy, Alphaville, Boney M, Nik Kershaw, la plupart de cette musique que j’écoutais à l’époque sonne toujours aussi bien pour moi. Ensuite, je me suis orienté vers le hard FM de l’époque, White Lion, Dokken, Rainbow, Night Ranger, Whitesnake, et puis j’ai joué dans un tribute band à Deep Purple, et je suis devenu obsédé par Jon Lord et l’orgue Hammond. Quand j’ai déménagé à Oslo il y a douze ans, je me suis pris de passion pour le folk, la country, et j’ai commencé à jouer dans la rue, le soir. Après quelques années à la fac, j’ai décidé de me mettre sérieusement à la musique, et j’ai acheté un 8 pistes numérique, puis un ordinateur, parce que j’en avais marre des groupes, je voulais apprendre à produire comme mon héros Todd Rundgren », explique Hans-Peter, dont la musique en suspension tient plus du miracle instrumental que du bricolage de références kitsch volontaires. Propulsé héros space disco en un chef-d’oeuvre autoproduit, le rêveur I feel space, Lindstrøm a bien écouté Moroder, Kano et Daniel Wang, mais son amour pour les progressions harmoniques complexes, les formats géants, les arrangements dantesques et les soli de guitare en fait un personnage musical bien plus intrigant que le producer revivaliste lambda. It’s a feedelity affair, qui rassemble les pics de sa discographie de maxis précieux, est une sorte de somme, délicieusement dense, délicieusement triste, un moment immense de 2006.
Un tantinet plus discret jusqu’à peu, Prins Thomas s’est d’abord caché sous le pseudo Major Swellings, sur le label des Idjut Boys, et s’est fait connaître comme Dj et tête du super Full Pupp avant de réaliser des remixes à tour de bras, puis de commencer à travailler presque accidentellement avec Hans-Peter. Sorti quelques mois plus tôt avant le mirifique album de Lindstrøm, l’album éponyme du duo est peut-être le vrai moment zéro de ce space disco qui semble avoir mis en branle la Norvège tout entière : divagations infinies délayées de synthés magiques, les compositions du duo empilent les instruments et les pulsations en de longues épopées lancinantes, un tiers Moroder, un tiers Can, un tiers ambient, étalées en studio et à peine re-sculptées dans l’ordinateur, et réinventent une sorte de nouveau système lounge, émaillé de failles et de détours, tout en sautillant au bord du gouffre du mauvais goût, les yeux vers les étoiles. « On commence chaque morceau en jammant. Par exemple, je peux jouer du clavier pendant que Thomas choisit la guitare, la basse, la batterie. Après chaque session, on arrange le tout en rajoutant des pistes. Reinterpretations est une suite logique de notre album, qui assemble quelques versions uptempo, de ces morceaux pour le dancefloor, parce que le disque était trop lent, trop acoustique pour certains ». De fait, personne n’est capable de dire si la musique de Lindstrøm et Prins Thomas est disco ou pas, expérimentale ou pas, encore moins s’il s’agit de musique électronique : ce seront pourtant les danseurs qui se plieront aux exigences folles, kitsch, tempi escargot et guitares dans le mix, de cette musique amoureuse. Aujourd’hui, ces deux hyperactifs remixent, ensemble ou en solo, jusqu’à Simian Mobile Disco ou Bebel Gilberto, et la fashionista, ailleurs esclave de la guerre des compresseurs, de suivre et de mettre en branle un enthousiasmant mouvement de mode et d’idées dans son pays. De Skatebard à Diskjokke, de Todd « Tango » Terje à Strangefruit, de Magnus International au revenant Bjørn Torske, « chaque Norvégien avec une crinière ébouriffée et une barbe miteuse sera bientôt forcé par la loi à faire du cosmic disco », comme on a pu récemment lire sur le très couru blog Test Industries… On a connu pire.