La première incursion de Jay Lesser dans le monde du mainstream a tout du sabotage amusé, et si l’Américain s’est laissé tenter par Matador -probablement séduit par son travail au sein de Matmos version live- ce n’est probablement pas pour céder à l’appel de la gloire, mais sûrement pour nous livrer une hilarante analyse à chaud de ce qui est justement l’objet du disque, à savoir sa signature sur une grosse structure. Etonnant objet et étonnant propos, donc -le décalage entre la musique et le label qui la publie : le deuxième morceau de ce disque s’intitule ainsi Matador Records Tax Deduction !
Car Lesser n’est pas un inconnu : son travail et son sens de la repartie réjouissent depuis longtemps déjà les habitués du label electronic noise Vinyl Communications (terre d’accueil américaine de Merzbow ou KK Null), notamment sous pseudo LSR ou Disc, contre-pied potache au sabotage de CD qui était jusque-là la trademark exclusive d’Oval (les deux projets n’ont cependant pas grand-chose en commun, tant au niveau esthétique et musical que de leur finalité… un morceau de LSR s’intitule d’ailleurs Markus Popp can kiss my redneck punk whiteass) au sein duquel on retrouve également les deux membres de Matmos et Kid 606, compagnons de toujours (de nombreux split singles et albums sont signés de leur deux noms). On aime l’attitude et les bonnes blagues en Californie, et Lesser a au moins autant de talent pour trouver des titres que pour critiquer les travers du music business (dans ce qu’il a de plus insidieux, son underground soi-disant exempt de tout reproche) que son alter ego de San Diego Kid 606.
En ex-hardos, Lesser aime le boucan, certes… Mais son boucan a tout de l’analyse spectrale la plus intelligente, et son chaos renferme bien plus de talent et de finesse que bon nombre de disques autoproclamés « intelligent » dance music. Et le sieur a l’ironie de son côté… Cet album est donc un gigantesque cut-up de rythmes plus ou moins reconnaissables, de bruits distordus, de voix désincarnées (on reconnaîtra par exemple des extraits du Lolita de Kubrick), de soli de guitare charcutés, de parasites informatiques réellement subversifs (cf. le morceau Obligatory Glitch Worship qui semble se moquer des travers de la musique électronique soi-disant avant-gardiste en confrontant glitches et hurlements de foule transis…), de déferlements industriels (Cheeseburger lady comme un hommage à Throbbing Gristle ?) qui, s’il peut paraître souvent abscons, ne cesse jamais d’étonner : comme Kid 606, Lesser semble fasciné par l’entropie, par le trop-plein informationnel, et son art tient plus du plunderphonisme déconstructionniste que de l’electronica, genre bâtard et fourre-tout auquel il semble appartenir. Il s’y réfère, certes, mais pour en livrer une critique brûlante et férocement ironique. Le brûlot en résultant n’est pas très appétissant. Mais il se révèle vite être un passionnant document postmoderne et souvent hilarant.