Les habitués de la rue Keller, dans le 11e arrondissement de Paris, savent que cette rue du quartier Bastille abrite depuis des années un des meilleurs disquaires rock de la capitale. Depuis quelques temps, le magasin est entré dans une manière d' »extension du domaine de la lutte » et, non content de fournir des galettes succulentes aux amateurs de freak-beat, rockab’, punk et cie, a créé un label pour être plus encore au coeur de l’action en sortant ses propres disques. Coup sur coup, « Born Bad-le-label » sort trois nouvelles références aux couleurs françaises…
Honneur aux aînés, on commencera par les mythiques Blousons Noirs, combo particulièrement primitif et éjaculateur précoce : le quatuor enregistrera deux EP 4 titres en 61 et 62 avant de repartir dans le néant d’où ils venaient. La mention « intégrale » aura rarement désigné une production aussi limitée et prête presque à rire. Qu’importe, les Blousons Noirs semblent avoir été abonnés aux plans foireux. En effet, avant de devenir un secret bien gardé des amateurs de curiosités sixties et, par conséquent, un must have hors de prix, les garçons ont sans doute involontairement posé les bases d’un culte idéal : on ne connaît pas leurs identités, ils n’ont pas fait de concerts, leurs deux disques utilisent la même photo cheap et ils ont disparu sans jamais refaire surface. Et puis, surtout, ils ont produit quelques pépites sauvagement rock’n’roll avant quelques prestigieux collègues d’asile : Hasil Adkins, The Legendary Stardust Cowboy, The Godz ou Wild Man Fischer, autres maîtres en outsider music, accoucheront de leurs monstres respectifs des années plus tard. A l’échelle de la France, il faudra attendre aussi quelques saisons pour entendre le même genre de vibration psychotique chez Evariste, Hector ou Les Homards Violets. L’écoute de ces huit titres, dans le plus pur esprit DIY, est jubilatoire tant chaque membre fait preuve d’une incompétence à la mesure de la conviction avec laquelle la sauce est envoyée. Une innocence authentique et une rage adolescente propulsent leurs covers de standards de l’époque en manifestes proto-punk : il faut entendre une fois dans sa vie ce Eddie soit bon purement nihiliste, ce Depuis que ma môme vendu en vrac ou ce Be Bop A Lula à faire passer la version sacrée de Gene Vincent pour du prog-rock aérophagique. Les préhistoriens du rock tiennent enfin leur preuve scientifique sous forme vinylique : le freak rock est né à Bordeaux à l’orée des sixties !
Restons dans la fameuse région vinicole avec les plus contemporains The Magnetix. Contrairement à leurs glorieux ancêtres (Les Blousons Noirs, vous suivez ?), The Magnetix bâtit son redoutable wall of sound en divisant la force de frappe par deux. Pour ceux qui s’épuisaient à dénicher leurs nombreux singles, éparpillés sur les labels les plus obscurs de la galaxie, la sortie de ce mini-album plus ou moins récapitulatif est une bénédiction. Pour les autres, ces 8 titres de garage punk primitif seront la carte de visite idéale pour accéder à ce duo tapageur, oeuvrant depuis 1998. Notre couple de rockers RMIstes a placé toute sa morgue dans des pseudos tout droit sortis de productions Russ Meyer (Looch Vibrato pour lui, Aggy Sonora pour elle) et a forcement limité les frais côté artifices musicaux : guitare plus vrombissante que chez les meilleurs Cramps, batterie tape-dur et quelques clusters d’orgue les jours fastes. On pense aux antiques Music Machine ainsi qu’aux Sonics et aux plus récents Cramps ou Gories sans jamais tomber dans l’écueil « voix de son maître ». Tout juste croit-on reconnaître le Pushin’ Too Hard des Seeds dans leur Fishin’ My Heart. Un disque qui file à cent à l’heure et qui parvient, de ce fait, à être presque aussi bluffant que leurs prestations live.
Retour à Paris, enfin, pour la sortie du faire-part de naissance d’un trio sexy en diable et au nom générant toutes sortes de fantasmes : Tu Seras Terriblement Gentille. Bon, lâchons le morceau et levons le voile du mystère entourant ces charmantes créatures : le nom du groupe fait référence à un obscur film de la fin des années 60, du danseur, acteur, chorégraphe et réalisateur Dick Sanders. Malgré la référence pour happy few, ce 4 titres inaugural de Tu Seras Terriblement Gentille ne donne pas dans la pop alambiquée mais bel et bien dans un rock garage-surf assez efficace et direct : les titres sont très courts, peu encombrés de solos et autres fioritures. Epaulée par une certaine Carine à la batterie et d’une mystérieuse Hind à la basse, c’est la sculpturale Suzanne (du duo electro-punk Pravda) que l’on retrouve en frontwomen de choc. Passant de l’anglais (le tubesque I Need A Kiss ou ce Terrified divinement chipie) au français sans aucune difficulté (Boy, où elles se relaient pour nous malmener), ce groupe évoque tour à tour le meilleur de X-ray Spex ou des Lolitas, côté vocal et énergie, et pose ses filets dans les eaux pures du vieux Link Wray en ce qui concerne la guitare. On est à nouveau amoureux des riot girls !