Mathias Delplanque est né en 1973 à Ouagadougou (Burkina Faso). Il vit entre Nantes et New York, Gambetta et un bled au nom imprononçable de l’Afrique Centrale. Il produit sous les noms de Lena, Bidlo, Stensil mais également sous son propre nom. Il vit de sa musique et de divers larcins et concerts légaux. Ses partitions électroniques sont parues sur des labels des quatre coins de la planète : Quatermass, Soundsaround, Harmsonic, Mondes Elliptiques, Low Impedance, Arbouse Recordings, Optical Sound ou encore Insubordinations, des structures qui poussent de travers mais qui avancent tout de même, malgré le marché du disque de nos années 2000, un lambeau vivotant à la surface d’un purin génialement abordable… Delplanque s’est produit plusieurs fois à Montréal en passant par Bombay et New York, San Francisco et le Vieux Continent et, bien sûr, l’Afrique, entre autres… La France tarde à reconnaître son talent mais plusieurs passages au fameux festival dub organisé par nos confrères de Télérama font se pencher bizarrement les critiques sur son arc. Après avoir attiré plusieurs musiciens dans son giron (il a tordu le coup de Charlelie Couture et continue avec Charlie O…), Delplanque comprend que son avenir ne sera pas du côté d’Universal ou de Pascal Nègre mais de sa chambre home-studio qu’il a progressivement muté en monstre muni de baffles qui font péter les dB jusqu’en Alaska…
The Uncertain Trail est le troisième album de Lena, il fait suite à Lane (2002) et Floating roots (2004), deux albums qui lui valent tardivement d’être qualifié par les uns de « meilleur producteur digidub hors de la famille ~scape » (Brainwashed) et les autres de « représentant le plus intéressant de la scène dub française » (dixit Musiques & Cultures Digitales). Né du cerveau de Delplanque, cet album s’est développé via une ouverture d’esprit de Thierry Arnold, chef cuisinier de Sounds Around. Cette galette contient un assortiment de segments insolites et inédits, composés entre 2004 et 2006, phase voyageuse durant laquelle ce dub anormal et sulfureux s’est colporté et muté en partitions narcotiques et acrobates (en témoignent le subliminal Nizamuddin station ou encore la conclusion Ephémère, une virée traversée de fins de films). Ce dub électrique surprend car il est perpétuellement traversé de démons teutons et de tribus ébènes, d’infrabasses savonnées qui éclatent sans créer de confusion grotesque (Saint-Urbain). Le son de Lena – qui prend au passage le nom d’un personnage de Faulkner dans son Lumière d’Août – associe ritournelles légères et promenades abruptes, sons d’insectes et basses chaudes mais robotiques, versets volatiles et enrobages de rythmes épileptiques, en mode alerte. Cette nouvelle histoire de Lena se pose plus en charte urbaine que ses travaux précédents, en scénario concis, bien éparpillé, surtout lorsqu’il s’entoure de Black Sifichi, qui met un grain de sel salvateur sur les remixes de Periphery et Typewriter ribbon. Sifichi est aussi l’une des voix de Radio Libertaire, amateur, producteur et collaborateur de longue date des meilleurs producteurs de hip-hop instrumental orienté dub (on ne citera que Spectre et Sensational pour faire court…). Aux côtés de son acolyte Lena, il martèle finement des comptines égarés, concentré sur l’infrabasse, la rythmique, l’oiseau métallique. Les zig-zags de l’artiste au grand D se mouillent ainsi dans des lacs longilignes et périurbains que l’on trouve près des grandes villes de Germanie ou de Bamako, celles qu’on veut fleuries mais qui sont bordées de gares et de zones de non-droits, celles qui sont enveloppées d’emballages Snickers et de canettes Pepsi Max.
Soucieux du moindre détail, l’artiste et le label Sounds Around ont culbuté le couvercle artistique le plus loin possible, plaquant l’oeuvre du peintre américain Ed Ruscha sur la couverture. The Uncertain trail est le nom d’un des tableaux de Ruscha. Photographe, peintre et autre, Ruscha fait des films et photographie la ville. Né dans le Nebraska quelques années avant la Deuxième Guerre mondiale du siècle dernier, il a vécu plus de douze ans à Oklahoma avant de bouger à Los Angeles pour y démarrer son Art. Un gars qui ressemble à Delplanque dans sa façon de bouger sur ce citron qu’on nomme Terre. Avec The Uncertain trail, Lena se veut peut être un peu trop souvent » baladeur « , chiant et lent, surtout lorsqu’il se prend des phases décomposées, qu’il écartèle, qu’il étire au possible. Mais il retombe toujours sur ses pans, comme s’il venait de débarquer tout fraîchement de sa Mer lointaine. A terre, il laboure sur un sol profane qu’il connaît bien, déambulant étrangement entre hip-hop électronique et instrumental, dub armé de plomb et cliquetis de prisonnier qui ne s’entendent que si l’on tord l’oreille en deux. Et lorsque l’oiseau se (dé)place d’un coup vers une musicalité ambiante aux teintes sulfurisée, son electro se veut finalement crépusculaire et vespérale. Lorsqu’on se penche sur les albums de Lena, on peut aisément sentir qu’il y séjourne des compositions basse-batterie électroniques qui portent parfaitement un ensemble, sans étouffer pour autant les samplers, les claviers, les voix. Un gros travail d’arrangement qui, au final, devient également un instrument pour le metteur en son Delplanque. Un bonhomme humble et discret à suivre à avec attention.