Lee Konitz est un musicien complet, à la fois compositeur inspiré (en particulier sur le présent opus), instrumentiste novateur et improvisateur exigeant. Il a pris le parti d’être attentif à son chemin personnel et, de fait, a su très tôt faire entendre sa propre voix en se laissant aller à explorer les ornières du chemin, à musarder. Il a multiplié les rencontres dans à peu près tous les contextes, privilégiant le duo. Citons pêle-mêle quelques grandes œuvres : Motion chez Verve en 1961 aux côtés d’Elvin Jones, Ko Zo Ma en 1968 avec Zoller et Mangelsdorff chez MPS, Satori en 1974 en compagnie de notre Solal national. En toutes circonstances, Lee Konitz demeure un merveilleux altiste qui s’exprime par une sonorité claire, celle d’une belle voix douce et ronde, aux inflexions franches et au son posé. Le ton est constant mais Lee tente de toujours renouveler son discours, fuyant les redites. Pourquoi ? Parce que c’est ainsi : le jazz ne reste en vie que s’il est agité, secoué en permanence. Lee Konitz le légendaire le sait mieux que tout autre, et connaît tous les trucs pour ne pas laisser la pulpe se déposer au fond de la bouteille.
Pourtant le pari de Sound of surprise reste partiellement gagné… ou perdu. Certes, le sang circule au sein d’un quintet intéressant. Les partenaires, triés sur le volet, sont tous d’excellents musiciens : Ted Brown (l’alter ego au ténor), John Abercrombie, Marc Johnson (ennuyeux) et en particulier Joey Barron, le batteur touchy de l’avant-garde de la côte Est qui, par l’énergie déployée dans sa battue et l’économie des couleurs utilisées, rappelle le meilleur du défunt mythique et spectaculaire cabochard Tony Williams, période Plugged Nickel. Malgré tout, Sound of surprise n’a pas eu la chance d’être visité par le djinn qui vient ensorceler les sessions quand la musique lui plaît. Les musiciens ont d’ailleurs l’air de s’en apercevoir, laissant filtrer un relatif ennui. On a aimé les ballades originales (Gundula, Bits and pieces) ou les standards rhabillés (Just friends, Body and soul, Just one of those things). Sans plus. L’ensemble est très uniforme et laisse un sentiment neutre. On se dit : « Soit », en méditant le propos d’A. Gerber louant l’improvisation « qui doit rester un vrai pari, comportant de vrais risques ». Mais est-ce suffisant pour donner naissance à un « vrai disque » qui vient s’ajouter aux quelque 70 albums de Lee Konitz. L’album de jazz est-il condamné à rester la mise en boîte d’un concert sans public ? Mystère et boule de suif ! Un peu plus de tempérament que diable sir Konitz !