Depuis deux ans, peu de soirées « indie-wock » ont su se passer, pour faire monter la pression artérielle des zombies cravatés Strokes sur les pistes de dance-rock, de l’hymne géniale Losing my edge du new-yorkais James Murphy. Le morceau retrace l’histoire et les déboires du rock, depuis le premier live-show de Can, à Cologne, en 1969, jusqu’à l’achat d’une double platine Technics dans les 90’s, puis la revente de la double platine pour le ré-achat de guitares électriques, accompagnant le « retour du r*ck » des 00’s. Le tout, sur une montée du beat en puissance, temporisée par des breaks de batterie hargneux, a considérablement favorisé l’usage de MDMA dans les rangs des jeunes rockeurs de l’internationale indie-pop, en même temps qu’il remettait, plus de dix ans après le baggy, du beat dans le rock, du groove sur la gratte, du kick par-dessus le kick. A succédé au tube parfait le matraquage parfait Yeah, dont le refrain stoopid a même donné son nom à une soirée parisienne de haute tenue (« Yeah yeah yeah yeah yeah yeah yeah yeah, yeah yeah yeah yeah yeah yeah yeah »). On attendait le pied battant la mesure l’arrivage hivernal d’un album complet qui, promis, réchaufferait notre corps engourdi et le propulserait à grands coups de dopamine sur le dancefloor béni.
Et bien, c’est raté ! Le premier album de LCD Soundsytem est une déception, pour ainsi dire. Aucun nouveau tube à hauteur des deux précédents à gober, juste un album de chansons dansantes et paresseuses, rien d’incisif ni de définitif comme annoncé (par qui ?), rien de vraiment nécessaire. Les tubes punk-funk ont été relégués sur un CD2 compilatoire (avec Beat connection, Give it up et quelques versions crasses) et l’album vit sa vie, on s’en fout un peu. Débutant par un Daft Punk is playing in my house solipsiste, bardé de percussions Liquid Liquid, avec une seule ligne de basse, jouée alternativement par une machine et par un musicien, donnant grain et imprécision en flux et reflux, cet introït finit pourtant par lasser. Le reste est à l’avenant, enchaînant basses Jah Wobble, chants Mark E. Smith, batteries Jaki Libezeit, dans une surenchère de références qui voit même passer New Order (Tribulations) ou la Dear prudence du White album sur un Never as tired as when I’m waking up volontairement plagiaire. Le premier single, Movement, commence par un kick martelé sur une bassline acide avant de s’achever en toute bonne logique apocalyptique par de lourdes guitares stoogiennes et un solo invertébré. Disco infiltrator fait carrément penser à un morceau des Chemical Brothers, avant de virer syncopé et haletant, limite R&B. Great release clôt plutôt pas mal l’album, en downtempo comme pour une fin de soirée, sur une boîte à rythme à la Martin Rev, un piano à la Brian Eno et un chant à la Robert Wyatt. Jukebox baby ! Pour conclure, ce one-man-show ressemble parfois à un vrai-faux concert, avec les imprécision en studio d’un vrai-faux groupe live, donnant à l’ensemble un air d’à peu près illusoire, qui pourrait rendre ces approximations humaines et touchante si on ne les sentait pas à dix kilomètres très préméditées. Voilà un groupe qui a mis deux ans pour sortir son premier album et c’est sans doute la raison pour laquelle celui-ci est déjà, comment dire, dépassé…
D’un autre côté, le label de James Murphy a sorti une compilation triple CD des meilleurs morceaux maison originellement sortis en vinyls, de laquelle il faut certes retirer la bonne pilule de l’ivraie d’aspirine, mais qui a le mérite d’un certain éclectisme et d’une belle cohérence, une fois acceptée la rémanence acharnée du poum-tchack néo-disco et des hand-claps à tous les étages. Ca commence par le strip-tease porno-chic Casual friday du Black Leotard Front, sur beat disco et basse electro-funk, une merveille d’érotisme dansant et le mot d’ordre de DFA pour le nouveau millénaire : « à poil »… Le premier CD enchaîne les perles : le Sunplus de J.O.Y remixé par DFA (aka Tim Goldsworthy, James Murphy et Jonathan Galkin) entre Lizzy Mercier Descloux sauvageonne et hystérie post-punk-j-pop, le Alabama sunshine de The Rapture, qui ne manque pas d’humour avec son intro Captain Sensible-Wot et ses breaks psyché (avant leur enlèvement par la major Warner), le « DFA remix » du Rise de Delia Gonzales et Gavin Russom, minimal et presque indus’, un Dance hall modulator dub de The Juan McLean qui évoque les dernières trouvailles R&B de Pharrell Williams, un remix tout en textures du Wastered de Black Dice, rebaptisé Wasteder pour l’occasion. Le CD 2 propose d’autres versions, des originaux, le Bellhead un peu brésilien de Liquid Liquid, encore un titre kraftwerkien de Delia Gonzales et Gavin Russom, un morceau de Pixeltan entre blaxploitation et funk-punk. Le tout mélange expérimentation weird et monothéisme pour le beat et son éternel retour. Le dernier CD enfin réunit tout ou presque ce petit monde pour un mix joliment enchaîné, qui vous laissera tranquille les mains libres pour tenir votre pinte de bière pendant votre prochaine soirée yeah yeah yeah. Yeah.