Née à Hampshire (au sud de l’Angleterre), Laura Marling a 20 ans (plus jeune, et bien plus jolie, qu’Alizée) mais chante et joue avec une sagesse que l’on dirait ancestrale, n’eut été sa réserve timide en interview. Après un premier album à 18 ans (nominé pour un Mercury Prize) et pas mal de concerts avec Noah & The Whale, ses chansons folk élémentaires, de bois et de marines anciennes, révèlent un mysticisme insulaire, contes de tous âges entourés par la mer, allégories étonnamment averties. Musicalement évoquant moins l’Angleterre que la folk d’outre-Atlantique, elle chante Goodbye England (ajoutant « … until next year’s snow ») comme le ferait une sans-terre, déracinée dans le rappel de ses origines : « J’ai beaucoup entendu de folk américaine quand j’étais enfant. Mon père écoutait Joni Mitchell, Bob Dylan, James Taylor. Mais je me sens complètement anglaise. La chanson en question est nostalgique, elle parle d’un endroit où mon père m’a emmenée vers Hampshire, qui est un paysage que j’adore. J’aime pouvoir y revenir comme à une source, y retrouver mon identité. L’Angleterre a des paysages particuliers qui me manquent beaucoup quand je voyage. La chanson parle de ça ».
Enregistrées en groupe (acoustique : guitares, banjos, violoncelles, percussions) et en live, les dix chansons comme des vagues de speak because I can, semblent avoir l’ambition un peu magique, un peu sorcière, de réveiller une flamme éteinte, d’évoquer d’anciens mystères, une religiosité primitive. Sur l’ouverture de Devil’s spoke, le bruit d’un diamant sur un vynil enflamme le disque, et toute la chanson murmure à nos oreilles, comme soufflent les voix dans les oreilles des fous : « Nous avons enregistré sur bandes analogiques, et, après le mixage, nous avons enregistré le son du vinyle master, que nous avons ajouté au CD… On entend aussi au début la petite fille du producteur, qui a trois ans, dont on a ralenti la voix, c’est assez effrayant… ».
Entre folie douce et blanche sorcellerie (chanter et jouer de la guitare comme elle le fait à son âge me semble à moi paranormal), les chansons de Laura Marling dévoilent surtout un mysticisme du quotidien qui rend chaque chanson possiblement allégorique (Hope in the air parle d’un homme qui ne parle plus depuis dix-sept ans, et que sa fille confronte pour lui redonner la parole), mettant en avant la parole comme souffle, celui qui anime ou réanime, donne la vie et le mouvement. Le titre de l’album lui-même, I speak because I can, est suivi dans le texte par « to anyone I trust enough to listen », redoublant le pouvoir de la parole dans la foi que l’on porte à son écoute. Made by maid fait penser à la visitation de la grâce dans le Théoreme de Pasolini (quoique Laura avoue n’avoir jamais vu ce film) et Hope in the air est aussi une chanson sur un jour de jugement. Pourtant, plutôt qu’à la littéralité sans esprit, Laura préfère une ferveur un peu animiste, une religiosité naturelle : « Je ne suis pas religieuse, mais j’ai toujours été fascinée par la religion, et élevée dans une famille middle-class chrétienne typique. Il y a là une bonté morale fondamentale qui a été complètement perdue dans le mot même de religion ».
Survole surtout au dessus de toutes les histoires, la voix sans âge de Laura Marling, à la précision sage, très belle, parfois emprunte de lassitude, évoquant Joni Mitchell, Diane Cluck, une Cat Power sans les griffes, quoique glissant parfois aussi vers une colère rentrée, presque nasale. Il faut l’entendre et la voir chanter, c’est de la magie.