Le koto est au Japon plus qu’un instrument, il fait partie de la maison, de l’éducation, de la vie : c’est une sorte d’équivalent du piano en occident. Cette longue cithare compte, sous sa forme moderne, treize cordes montées sur autant de chevalets mobiles, mais ce nombre peut être porté à dix-sept. Son accord est pentatonique. Accompagnant l’émancipation récente des musiques classiques auxquelles l’instrument était resté attaché, trois improvisatrices formées aux meilleurs écoles de la tradition se sont réunies en un ensemble qui marche sur les traces du fameux Kazue Sawai Koto Ensemble dont Ryuko Mizutani a fait partie (toutes sont passée par la fameuse académie de Tadao et Kazue Sawai). Le koto est désormais bien inscrit dans le paysage musical d’aujourd’hui (cf.Three day moon de Sawai / Doneda / Saitoh).
La forme de l’instrument comme sa sonorité profonde et claire invite aux gestes larges, mais sa finesse expressive, les effets de matité qu’on peut en obtenir, la longueur très souple de la résonance invitent tout aussi bien à une exposition de l’intime : autant dire que le koto est un vecteur idéal pour l’improvisation libre. L’antiquité d’un répertoire de formes et d’attitudes demeure sensible dans la variété des approches, dans le soin méticuleux apporté aux détails. Là où le pointillisme use du silence comme d’un support de soie, le pincement de la corde apparaît comme une pointe de pinceau. En lui converge énergie et délicatesse. Balayé d’une main de harpiste, le koto tend l’espace d’un rideau de notes profondes. Ces deux modes de jeu libèrent toute une météorologie et sa gamme de précipitations (F#) : nuages, bruines, ondées, pluies fines d’automne, averses de printemps, giboulées ou tempêtes de neige, flocons en suspension, tintement de cristaux. La formation en trio permet d’explorer des univers amples où les cordes livrent par brassées des gerbes sonores tout à fait impressionnantes. Ensemble, trois kotos peuvent gémir ou gronder, grincer comme un gréement, craquer comme une coque : il semble qu’une flotte a pris la mer guidée dans l’aventure par la géométrie des étoiles. Quelques compositions usent de simple consignes (To to to to, par exemple, repose sur la réitération d’un rythme simple), d’autres articulent plusieurs gestes (Orhi 1 et 2 composent parties libres et écrites, où masses et fourmillement brossent un tableau vaste et délicat), mais une respiration unique porte l’ensemble où toute initiative est marquée au sceau de la clarté. Breathe tisse un réseau d’événements discrets que la moindre inflexion, le poids d’une note, les contrastes de tessiture et d’attaque, reformule, suscitant sous un angle nouveau des relations nouvelles. Cette capacité d’unir indissociablement forme et liberté trouve une splendide illustration dans l’improvisation 1+1+1, la première à laquelle se soient livrées ensemble nos trois musiciennes, engagées dans une même exigence de lisibilité et d’économie. A deux, l’on forme une ligne, à trois un volume : le Lantana trio exploite à merveille cette vérité dont le sens excède la seule mathématique. Elles lui donnent surtout un contenu sensuel qu’il conviendrait peut-être de mettre au premier plan. Tout ici ravit les sens et si cette musique brille par son intelligence, c’est sans doute parce qu’elle ne la sépare pas de son actualisation dans une réalité sonore entièrement vouée à la délectation.
Ryuko Mizutani (koto), Shoko Hikage (koto, koto à 17 cordes), Noriko Tsuboi (koto, koto à 17 cordes). Live à la Luggage Store Gallery et à la Meridian Gallery, le 01/06 et le 10/06/2000