Boris Claudio « Lalo » Schifrin est né à Buenos Aires en 1932. Fils de musicien (son père dirigeait le Buenos Aires Philarmonic), Schifrin a longuement étudié la musique et l’art de la composition (surtout grâce à l’enseignement de Mariano Drago et Enrique Barenboim) avant d’aller vivre en France à l’âge de 28 ans. Fasciné par les clubs et la « nouvelle vague », c’est à Paris qu’il découvre le jazz et se lie d’amitié avec les musiciens Stéphane Grappelli et Michel Legrand. Après avoir passé six années formatrices en Europe, il retourne en Argentine et fait la connaissance de Dizzy Gillespie, qui lui demande de le suivre en tournée aux Etats-Unis. Il s’y fait vite remarquer par nombre de producteurs hollywoodiens, qui s’intéressent à ses arrangements jazz mêlés de sonorités afro-cubaines et d’agencements classiques. En 1964, il compose la musique de Joy House (Les Félins), réalisé par René Clément, dont le titre principal (The Cat) est devenu un morceau culte. Mais c’est avant tout avec les thèmes musicaux de téléfilms tels que Mission : impossible (Impossible mission, 1967) et Mannix (1970) que Schifrin se fait connaître du grand public. Pourtant, ses plus belles oeuvres se cachent dans les bandes originales des films comme Cool hand luke (Luke la main froide, 1967) Bullitt (1968), Dirty Harry (1971), THX 1138 (1971) ou encore Enter the dragon (Operation dragon, 1973). On a récemment pu entendre ses nouvelles compos sur le Rush hour de Brett Ratner.
Warner Music a eu la bonne idée de rééditer bon nombre de ces BOFs (enregistrements recomposés et/ou remasterisés). Schifrin est ici accompagné du WDR Orchestra, qui comprend notamment le ténor saxo Olivier Peters. On a même droit à certains enregistrements inédits, qui n’apparaissent pas dans la version originale de la BOF du film de Peter Yates. Bullitt est peut être, avec Dirty Harry, le film qui a le plus inspiré le compositeur argentin. Quiconque apprécie ce film intense se souvient de la course poursuite dans les rues de San Francisco, pour laquelle le maître Lalo a écrit une partie symphonique impressionnante, combinée avec des solos de saxos prodigieux, le tout posé de main de maître sur des tempos véloces. L’intro de Bullit, Main title fera frémir les aficionados du sampling d’aujourd’hui. D’ailleurs, rappelons que Schifrin est, avec Michel Legrand, un des compositeurs classiques et jazz les plus pillés par le hip-hop et le trip-hop (Dj Premier, The Goats, Kowatabo, Mr Len, Porstihead…), qui n’ont pas hésiter à s’approprier les passages des titres les plus connus du Enter the dragon et de Mission : impossible.
Un des plus beaux instants de cet album est sans conteste l’admirable Shifting gears. Pur chef-d’oeuvre d’énergie musicale éclectique, ce morceau pulse nerveusement les gestes de Franck Bullitt (Steve Mc Queen), peu avant la fameuse poursuite de voitures. A l’aide de cuivres ronflants, les arrangements travaillés de Schifrin naviguent majestueusement sur une rythmique soul tonique, mariée à une ligne de basse torride. Un titre à l’image de cet opus, qui marque une transition dans l’univers de Schifrin, puisque c’est avec Bullitt qu’il s’échappe de sa bulle jazz (exceptés Cantata for Combo et Road to San Mateo), pour mieux libérer son énergie créatrice éclatante. Rythmes bossa-nova, cuivres bouillants, guitares et basses électriques (à noter les terribles lignes de basse sur les morceaux Ice pick Mike et End credits) : les meilleurs recettes de Schifrin sont présentes pour l’avènement d’un compositeur de haute sophistication. Il y a quelques années, ce compositeur de génie, de surcroît chef d’orchestre et pianiste, déclarait : « La musique est source de croissance, de développement et de rajeunissement ». Cette BOF de Bullitt, en partie recomposée et réarrangée, en est l’exemple parfait. Voilà un disque qui dénote une grande élévation d’âme.
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