118 titres de Django sur six volets thématiques attractifs, à prix cassé (environ 10 euros chaque CD, une vraie aubaine), il y avait de quoi se réjouir ; malheureusement, le prix cassé se paie… Parallèlement à une qualité de son très satisfaisante et des textes biographiques fouillés, cette série de compilations a pas mal de casseroles derrière elle… Elle est d’abord affublée d’un handicap difficilement compréhensible : à quelques exceptions près (dont le symphonique et rare Boléro, inspiré par Ravel), elle ne couvre que les premières années de carrière de Django (certes phénoménales), en occultant presque totalement les 13 dernières années, ce qui, vu la richesse de sa production et de son évolution après les années 30, oscille entre le surréalisme et la désinformation ; même si l’idée était, on peut le supposer, de faire des compilations grand public, le Django post-1940 n’est pas moins accessible aux oreilles des néophytes au point d’être évincé de la sorte. En zoomant sur l’avant-guerre, ces compilations commettent l’insigne maladresse de restreindre, aux yeux d’un nouveau public, l’étendue du génie du guitariste et de son évolution : absence de l’influence du be-bop, de la maturité toujours croissante dans le son et le jeu, absence du Quintet à clarinette et de la guitare électrique, et, à une moindre échelle, autre bizarrerie de taille : l’omission d’I’ll see you in my dreams, LE morceau de Django, trois minutes abracadabrantes d’inventivité technique, poétique et mélodique.
Deuxième point noir : l’avalanche invraisemblable d’erreurs dont sont criblés l’énumération détaillée des musiciens et le track-listing, à un point crispant, la confusion étant augmentée par le fait que ce ne sont pas les dates d’enregistrement qui sont mentionnées mais vraisemblablement les dates de publication. Pas de doute, pour la fiabilité des sources, cette série est un anti-modèle. Autre source de confusion, le parti-pris de non-chronologie, moins flagrant sur les volumes Joseph Reinhardt et Quintet du Hot Club de France (car ils regroupent les séances mythiques de 36 et 37, où le Quintet est le premier groupe pop du siècle), qui cause une certaine pagaille esthétique. Néanmoins la confusion a son charme, et la juxtaposition d’un Nuages de sept minutes totalement épurées et quasi liturgiques coincé entre un musette préhistorique et le délicieux solo napolitain sur Ne sois pas jalouse est, après le premier étonnement, finalement assez troublante.
Cependant, toute la sélection est forcément, Django oblige, ou géniale, ou intéressante, à l’image d’une carrière sans faiblesse. En évitant de lire les notes de pochettes, on peut privilégier le volume Les Américains, parfait, démontrant qu’il était aussi le meilleur accompagnateur au monde et d’où suinte une jubilation probablement due à l’incroyable émulation qui lui était offerte en ayant la possibilité de jouer avec les Ellingtoniens Rex Stewart et Barney Bigard, les prodigieux musiciens et superstars de l’époque Benny Carter et Coleman Hawkins, et le subtil trompettiste de Fats Waller, Bill Coleman. Reste aussi l’intérêt d’être sorti des sentiers battus en incluant quelques charmantes raretés, l’émotion trouble d’entendre Django (sur quatre morceaux) jouer avec ses dix doigts (au banjo), trois versions de Nuages (version clarinette, version violon, version solo) permettant d’apprécier l’extraordinaire diversité qu’il pouvait apporter à une même mélodie. Et le choix incongru de la photo qui accompagne la bio dans les six pochettes intérieures : un choix d’un raffinement poétique, volontaire ou non, admirable ; une photo non légendée, cinq enfants, un se détache : plus grand, visage lumineux, extatique, ailleurs, regard de voyant. Tout est dit.
Idéalement, se procurer plutôt le magnifique coffret trois disques Rétrospective Django Reinhardt 1934-1953 sorti chez Saga, qui commence à la genèse du Quintet et ne consacre qu’un CD à l’avant-guerre. Ajoutez à cela une présentation magnifique, un superbe livret, des notes de pochettes détaillées et exactes, des photos rares (Django en chandail, une exception !), et l’idée émouvante de mettre sur la pochette une photo en couleurs d’un Django souriant, peu avant sa disparition. Magnifique objet, qui, non content d’offrir un panorama complet de sa carrière, n’omet pas certains bijoux incontournables : les étourdissants solos I’ll see you in my dreams et Blues clair, les modernistes Rythme futur et Appel indirect, l’accrocheur et attachant Brazil.