Alors que les Daft Punk s’appuient sur la puissance de feux marketing de l’invincible (?) armada Virgin, un groupe auto-produit se livre à une guérilla publicitaire incessante depuis son site Web. Tous les médias musicaux ont été progressivement noyautés : radios, magazines, sites de téléchargement et finalement -l’honneur est sauf- le présent webmag culturel. Ce « groupe d’électro-chanson française au confluent de la pop-rock, de la chanson à texte et des musiques électroniques », selon la définition proposée, s’appelle La Blanche et son premier album, Michel Rocard, en hommage au RMI qui assure provisoirement la subsistance d’Eric La Blanche, homme de communication ayant tout plaqué pour se consacrer au chant et à l’écriture. Michel Rocard leur a refusé l’utilisation de son nom mais il s’est fendu d’une lettre digne d’un pigiste de Chronic’art : « J’ai écouté certains titres de votre disque, j’ai apprécié la langueur poétique qui les anime et l’engagement qui les caractérise. Il m’a semblé déceler l’influence de Bashung (…). » Cette habile stratégie promotionnelle pourrait inspirer la méfiance si elle n’était pas au service d’une étonnante maquette 10 titres dans laquelle scintillent déjà de belles promesses d’avenir.
Michel Rocard brille par la qualité indéniable des compositions, signées par les trois autres membres du groupe : Christophe (guitare, synthés), Colin (guitare) et Bart (basse). A l’écoute des textes d’Eric La Blanche, on imagine un auteur noyé dans la mélancolie (Bart, La Rivière) et les névroses amoureuses (Approche, L’Ennui, La Folle, SOL). Pourtant, Eric La Blanche ne cultive pas la fascination vénéneuse de la douleur et du désespoir, il joue simplement avec les « décalages, les brèches qui apparaissent dans la vie quotidienne ». Fausse pudeur ? Pas vraiment, Approche (la servitude en adepte), déclaration d’amour sado-masochiste, s’inspire plus d’une lecture traumatisante des Histoires d’O que d’une expérience érotique vécue. Ce titre évoque les ambiances capiteuses de Mélodie Nelson, tout comme Sous-Marine semble jaillir des confessions schizophréniques de L’Homme à la tête de chou (« Moi je songe à d’autres abîmes, D’autres cavernes sous Marine, Chaleurs humides, pluies torridiennes… »). Si l’on compare souvent son chant à celui de Miossec, ce rapprochement tient plus à la précarité des conditions d’enregistrement qu’à une technique vocale délibérément empruntée au Breton : Eric La Blanche a étudié pendant un an le chant lyrique au conservatoire mais ses voisins supportent mal le bruit des répétitions… Ca n’empêche pas La Blanche de rendre hommage à Miossec sur Un Homme, qui chronique la dérive d’un alcoolique anonyme avec la tragique démesure de Brel.
Michel Rocard pourrait se limiter à un exercice de style parfaitement maîtrisé s’il ne recelait une collection de chansons plus audacieuses, une suite de « petits univers » ironiques aux arrangements bruts et inventifs : l’indolente bossa de L’Ennui, les rythmes electro-ethno de La Rivière et La Piscine, désopilante plongée robotique dans les amours dérisoires d’un nageur transi (« Notre amour est resté dans l’eau mêlée d’urine, Entre les lignes bleues au fond de la piscine »). Alain Lubrano, ingénieur du son sur le dernier Françoise Hardy, s’est proposé de réaliser un EP 6 titres. Gageons que cette collaboration permettra de donner à ces compositions toute leur ampleur et réveillera l’intérêt engourdi des majors.