Même si c’est Roni Size qui a remporté le Mercury Music Prize, Krust a toujours été un acteur clé de la scène drum & bass de Bristol, en particulier du collectif Reprazent. Size l’avait d’ailleurs reconnu en disant de lui qu’il était le « cerveau » du collectif. Aujourd’hui, les treize morceaux de ce Coded language lui rendent justice, en mettant en lumière ses différents talents : entre influences jazz et tech-step glacial, Krust a cherché a élargir le spectre sonore habituellement plutôt étroit de la drum & bass.
Le disque s’ouvre avec une intro électronique futuriste qui n’est pas sans rappeler Carl Craig ou B12, pour laisser la place au long Re-arrange, proche du récent disque de Breakbeat Era : batteries organiques, chant omniprésent (grande particularité de Coded language), ponctuations de cordes dramatiques et basses évidemment souples comme des jaguars. Dans le même registre, Excuses est aussi chanté mais cette fois sur une morceau beaucoup plus menaçant, plus mordant. Ailleurs, Guilty, chanté aussi, est un morceau lent aux ambiances proches de celles de Tricky, et aux cordes « à la » Bernard Herrmann particulièrement réussies. Soldiers, par contre, marque les limites du genre et n’apporte pas grand chose, malgré la production quasi parfaite (le son, les arrangements, les trouvailles électroniques qui ponctuent les morceaux) dont bénéficie tout le disque. Pour la richesse et la chaleur du son, se référer au double album de 4 Hero sorti sur le même label et lui aussi gavé de cordes et de chant. Dans ce domaine, l’apothéose est atteinte, non sans un certain ridicule, avec le morceau One moment et son déluge de cordes tellement lyriques…
Par ailleurs, le morceau de bravoure du disque est celui avec le rappeur Saul Williams, morceau qui donne son titre au disque et a même droit à une « ouverture ». Un phrasé martial et sentencieux, des synthés froids et minimalistes, un discours sur l’histoire de cette musique et une rythmique implacable : huit minutes d’énergie pure, qui réconcilient drum & bass et hip hop avec une facilité déconcertante. A part cette réussite, les morceaux les plus intéressants restent quand même les plus froids et les plus électroniques du lot : Tribute, surtout, qui mélange groove de club et échardes de musique contemporaine, Spoils of war et ses sonorités jazz rock ou Noble assassins, proche de Source Direct.
Le dernier et excellent titre, Second movement, symbolise bien l’approche de Krust : chant et émotion sur des structures jump up bien senties. Au final, un disque riche et varié, pas forcément très original, qui pourrait plaire aussi bien aux fans de drum & bass purs et durs qu’aux fans de R’n’B.