Derrière les élucubrations electro-popisantes du Beta Band, s’engouffre dans les couloirs du label Regal une myriade d’expériences sonores sous des carapaces aussi diverses que celles des Brothers In Sound ou d’Orange Can, gravant au plus profond des sillons quelques notes syncrétiques, mêlant habilement les intonations d’une pop torturée aux rythmiques électroniques. Parmi ces expériences, celle de King Biscuit Time, animée par Stephen Mason (la voix du Beta Band), ne saurait passer inaperçue. No style est un recueil de titres composés par notre homme au passé prolixe, qui réapparaît ici sous les traits d’un curieux Duck Hairback (un coquillage avec des plumes, nous explique-t-il…), parvenant à projeter son mélange hors de ces sentiers taillés à la hache par une presse qui se plaît à construire des couloirs pour mieux jeter le discrédit sur ceux qui s’en écartent.
A mi-chemin entre la jungle, la folk, le rock, la house, la pop et un funk mêlé de quelques sonorités bien actuelles, King Biscuit Time est difficilement classable. Dès les premières notes, l’excellent I walk the earth nous entraîne sur un beat de jungle puissant, secondé bien vite par un chant grégorien version pop-rock, qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler les expérimentations vocales de Primus, la basse en moins. Et puis, singeant à la perfection le flow de quelque raggamuffin frappé par l’esprit de la pop, la voix fait monter une tension, dense, simple et efficace. Partant de là, tout s’enchaîne et tout s’emmêle, pour le meilleur… mais aussi pour le pire.
Car, si le montage est bien ficelé, on frôle à plusieurs reprises un foutage de gueule grandiose. Et il convient de souligner ces banalités mélodiques, à une époque où il devient aisé de produire du son en oubliant qu’on prétend faire de la musique sous prétexte que quelque média tendance culturel-urbain trouvera le bouillon « mirifique et transcendant ». A la question « Comment faire un morceau avec une mesure rythmique et un synthé ? », le dernier mot de notre Duck Hairback est Untitled, un titre d’une exceptionnelle platitude qui laisse tourner un large beat de hip-hop sur lequel viennent se poser les notes d’un accordéon synthétique qui se répand en poncifs mélodiques faciles. Dans ce même chapitre, on rangera le triste Time get up, une ballade enracinée du côté des Beatles, une chansonnette comme on en pousse à ces heures avancées de la nuit, entourés d’un parterre d’acolytes imbibés. Et pour couronner le tout, Fatherdriver, en dépit d’un départ ingénieux en forme de dub d’un genre nouveau, se mue en une rengaine ultra-répétitive, où le court motif est recyclé une bonne quarantaine de fois avant d’être coupé brutalement. Notre homme, qui n’a pourtant jamais été habitué à de telles bouffonneries semble avoir ici quelques difficultés à trouver sa voie.
Malgré ces incartades d’un goût douteux, et que l’on peut somme toute imputer à nombre de projets gravitant autour de pièces maîtresses comme le Beta Band, il convient de ne pas tout fourrer dans le même sac. I love you est une ballade électroacoustique qui arrive à point pour nous redonner espoir quant aux idées de ce bon monsieur Duck, laissant voguer en équilibre précaire le son d’un orgue frêle, rattrapé au dernier moment par quelques mots soupirés à l’endroit exact où l’on sent poindre la rupture. Niggling discrepancy reprend le flambeau pour nous offrir les volutes d’un orgue liquide égrainant un arpège minimaliste au milieu d’un vide animé par le battement d’un métronome enroué. Et puis il y a Little white et surtout Eye o’ the dug, qui clôt cet opus en une orchestration fine et reposante, entre harmonica, chœurs et guitare. No style s’éteint, calme et beaux
Entre electronica, techno, pop-rock addictive et vocalises aériennes boostées aux drogues des années 70, No style (qui porte particulièrement bien son nom) réussit, en dépit de quelques fautes de goût, à s’échapper des conventions classiques, pénétrant l’épineuse sphère de la nouveauté sans que la chose ait une quelconque saveur de réchauffé.