Inutile d’imaginer un éventuel musicien de jazz américain né après 1940 avec lequel Kenny Barron, artisan pianiste de son état mention orfèvrerie, n’ait pas joué, sauf peut-être un ou deux mecs nuls et pas sympas en prime. Kenny Barron est un pianiste de session. Un de ceux que l’on appelle à la rescousse quand on débute ou qu’on veut confirmer et qu’on souhaite pour cela que le disque ou le concert où l’on va jouer sa chère musique soit impeccable. Impeccable … mais punchy. Parce qu’il est maître d’une technique excellente et qu’il connaît ses classiques sur le bout des doigts, « le » pianiste mainstream aux dizaines de participations discographiques ne donne jamais la sensation d’ennui ou de lassitude. C’est un accompagnateur inspiré qui sait choisir le ton voulu sans imposer sa patte à tout prix.
Auteur de quelques disques sous son nom propre qui malheureusement, même s’ils sont pour la plupart irréprochables, sont parfois gentiment ennuyeux et ne rendent pas compte de ses talents, Kenny Barron a voulu, à l’approche de la cinquantaine, frapper un grand coup en réunissant un all-star impressionnant de pointures pour jouer SA musique sur Spirit song, à l’exception de deux standards : Passion flower de Billy Strayhorn et Passion dance de Mc Coy Tyner en duo avec David Sanchez (un sommet du genre). Nulle marathonade pianistique ni masturbation rococo. Comme on dit pour les bagnoles : « Tout a été savamment pensé pour entourer les passagers d’un luxe discret mêlant bon goût et raffinement, etc. (ad lib.). » Mais trêve de concetés, n’allez surtout pas imaginer que Kenny Barron est une sorte de Rover 800 du jazz. C’est simplement qu’il préfère aujourd’hui faire de la musique plutôt que faire du piano et qu’il prend autant de plaisir à stimuler les autres, à les guider (et quels autres : E. Henderson à la trompette, R. Carter au violon, R. Malone à la guitare) confortablement épaulé par une rythmique sans faille (R. Reid et B. Hart) qu’à composer. En l’occurrence, les thèmes du maître pourraient devenir de nouveaux standards : The Pelican avec ses relents jazz 70′ et son mouvement mécaniste, le propre sur lui Spirit song aux discrètes percus sur lesquelles R. Malone étonne entre Mike Stern, Attila Zoller et Django, les langoureux Sonja Braga et Cook’s Bay (cocktail time les gars !) ou le bop And then again.
Après avoir joué à la façon de Hancock, de Mc Coy Tyner, de Peterson, de Monk (dans l’excellent ensemble Sphere), Kenny Barron aborde sa nouvelle musique, digne d’attention. Merci.