C’est marrant, depuis le mois d’août, c’est le gros buzz autour du nouvel album de Katerine, et tout le monde semble avoir déjà écouté l’album, alors qu’il ne sort que le 10 octobre. Un peu comme le Houellebecq en rayon littérature, le nouvel album du dandy foufou parisien s’est trouvé dans à peu près toutes les mains bien informées, à tel point qu’on se demande encore quelle est la valeur d’une chronique en bonne et due forme au moment de sa sortie, quand les réseaux amicaux ou Peer 2 peer ont déjà mis à dispo le disque au plus grand nombre. Il faudrait réfléchir à un journalisme adapté à ce nouveau monde communicationnel, de plus en plus détaché des anciennes habitudes de promotion et de consommation de la musique (parler des disques deux mois avant leur sortie ?). Bref, ceci étant, si tout le monde a déjà écouté le disque de Katerine, c’est sans doute aussi parce que c’est le disque le plus excitant de cette rentrée, et on parie qu’il va s’en vendre pas mal de milliers sur la foi de quelques passages radios et d’un bouche à oreille qui fait déjà son petit effet, mérité.
Tous les disques sont potentiellement des concept-albums, on devrait même dire que c’est là le travail du bon journaliste, que de trouver quel est le concept qui se cache derrière chaque nouvel album. Katerine, en interview, nous a un peu mis sur la voie. Robots après tout traiterait des rapports entre l’individu et la collectivité, entre le petit un et le grand tout, le singulier et l’universel : faire partie du groupe, échapper au groupe, être inclus, être exclus, voilà de quoi parle entre les portées Robots après tout, depuis son titre fabuleusement opportuniste (Katerine s’inscrit humoristiquement dans l’histoire contemporaine de la pop culture en faisant référence au dernier album de Daft Punk), sa pochette surréaliste (l’uniforme, l’uniformité, la différence), et la plupart de ses morceaux. Etres humains fait le rêve d’une respiration synchronisée entre les « six milliards d’êtres humains » qui peuplent la planète Terre, sur un seul battement de coeur, celui rapiécé de Katerine ? ; Au Louxor, premier tube énhaurme et simplissime dans sa réalisation, met en scène un Katerine Dj qui couperait et remettrait « le son » selon son bon vouloir, entraînant la fureur d’une foule de danseurs hétéroclite, jouant sur les rapports de pouvoir entre l’individu et la collectivité ; Après moi, questions-réponses à la Gotainer entre l’individu Katerine et « le choeur des robots » invité s’amuse des interactions et des déterminismes dans les conversations courantes (« Répétez après moi : t’as rien compris au film ») ; Qu’est-ce qu’il a dit ? reproduit comiquement l’incommunicabilité intersubjective. Et chaque chanson a ainsi son idée, amusante, réflexive, pertinente, sur la société humaine aujourd’hui (jusqu’à la perception singulière d’événements collectifs traumatisants, comme le 11 septembre, ou Marine Le Pen !).
Robots après tout est en ce sens quasiment une oeuvre d’art contemporain, provoquant sans cesse la réflexion, totalement ludique dans ses procédés (Katerine découvre la Groovebox et en joue comme un enfant, de la même manière qu’il avait découvert la caméra numérique pour son film Peau de cochon), totalement libéré dans sa réalisation (Katerine aux machines, Gonzales aux claviers, Letang à la prod’), d’une simplicité enfantine (ça sonne parfois un peu cheap) et absolument jouissive (c’est bourré d’énergie -d’ailleurs, allez voir Katerine en concert, c’est la première fois que vous le verrez crier sur scène). Entre mises en abîmes (Le Train de 19h met en scène un petit garçon s’amusant avec un petit train, Katerine comptant parmi les voyageurs) et galerie de portraits (Patati patata ou Excuse-moi permettent à Katerine de faire preuve de ses réels talents d’acteurs, jouant des personnages, des situations, avec un ton chaque fois unique, sidérant de justesse et de fantaisie), Robots après tout théorise avec humour le rapport de l’artiste au monde qui l’entoure, comment ils entretiennent des relations réciproques, de création, de réaction, d’influence, cela sur la base de réels dispositifs (Le Train de 19h, encore), où une singulière folie se déploie et se libère (Borderline évoque le refoulement dans le décompte : le borderline compte tout, énumère, classe, répertorie, à seule fin de ne plus penser -d’ailleurs l’album est constellé de chiffres et de compte à rebours, pas loin de Perec dans son systématisme autiste).
On a l’impression que Katerine enchaîne les albums réellement personnels (L’Education anglaise, Les Créatures) et les albums contractuels (Mes mauvaises fréquentations, 8eme ciel), celui-ci entrant de fait dans la première catégorie : prise de risque, invention, fantaisie poétique et liberté de ton le caractérisent. C’est un des meilleurs albums de son auteur, qui nous fait tourner en rond, dans sa chambre, dans sa maison, dans son quartier, dans sa ville, dans sa région, dans son pays, dans son continent, dans son monde, dans son univers. Laissez vous emporter, vous ne regretterez pas le voyage.