Ce qui a toujours sauvé Kat Onoma de la récupération est l’extrême éclatement de ses membres fondateurs. Alors que le combo strasbourgeois s’élevait insensiblement au dessus des affres underground du petit milieu musical enfumé de la tournée des salles incertaines de la région, Philippe Poirier et Rodolphe Burger se dirigeaient déjà vers d’autres lointains. Tous multi-instrumentistes et musiciens protéiformes, on retrouve les deux compère aux guitares, vieilles maîtresses indestructibles, ou au saxo dans des projets dépolarisés. Et si ce nouvel album, en guise de retour à l’éponyme, suit une tendance plus axée sur les textes collectifs, on retrouve l’univers tourmenté et saturé des débuts.
Un son, comme à l’habitude, transpercé par les deux saillies mélodiques qui ont fondé l’originalité du groupe aux limites des genres : une guitare frippienne en diable, presque électronique, couplée à la trompette bouchée de Guy Bix Bickel, distillant des ambiances proches du Get up with it de Miles Davis. Mais Kat Onoma n’est pas qu’un assemblage plus ou moins cohérent des cultures musicales respectives des protagonistes. On pourra scroller à l’envie dans les ombres majestueuses qui couvent le destin de Kat Onoma, du Krautrock (Can, Kraftwerk, Neu) aux scènes downtown New-york les plus dépouillées, en passant par des attitudes presque progressives. Les clones, bien évidemment, ont suivis, sans bonheur. Tanger, dans le même esprit, adoptait ainsi une pause romantique qui niait toute l’esthétique détachée et post-dandy de Poirier et Burger. Kat Onoma, jamais arrogant, a toujours su éviter ce maniérisme qui les guettait depuis leur premier EP paru en 1986 et depuis devenu objet de culte.
Hélas, si les singularités biologiques arrivent à les éloigner de schémas déjà trop entendus (l’album de Burger, On est pas indiens c’est dommage en est un parfait exemple ainsi que la participation de Poirier au projet Zend Avesta), le groupe, trop cohérent, n’arrive pas à décoller de ses pré-requis historiques. Et ce ne sera sûrement pas cet apport pauvret de quelques cordes trop consensuelles qui masquera la trop grande unicité de l’oeuvre du groupe. Restent des ambiances délétères et sombres où plane encore une fois la voix grave de Rodolphe Burger, Leonard Cohen déglingué et jamais pacifié. Apôtre d’un rock français tout sauf identitaire, Kat Onoma réussit à suivre esseulé un sillon pas encore tari. Attention, car la fin n’est sûrement pas loin.