Langage déchaîné en rythme, parole identitaire, musique de neg’ mawon, qui, jadis, arpentaient les hauts en terre négrière à la recherche d’une possible, poursuivis par les chiens soldats du maître de la plantation, le gwo ka est synonyme de cri en Guadeloupe. Cri d’existence de l’exploité, cri de rage du colonisé, cri d’exaltation pour le créole… Une musique, qu’on a voulu bâillonner à une époque par la force du fouet, qui revient sans cesse des zones d’ombre du passé. Une musique défendue avec ardeur par Kan’nida, groupe phare des Grands Fonds, région de résistance de la culture paysanne sur cette île d’Outre-mer. Un groupe qui a vu le jour, il y a quinze ans dans la famille Geoffroy. Avec un noyau de frères et sœurs, réuni autour de Zagalo, ensuite rejoint par quelques proches amis, dont Fred Anasthase, le marqueur du groupe (l’un des meilleurs de sa génération).
Avec Kyenzenn, Kan’nida signe sa petite bombe pour un début de millénaire aux repères troubles. Quatorze titres aux structures complexes, aux rythmiques brûlantes, qui délivrent le jeu traditionnel d’une certaine monotonie. Le chant, sous l’impulsion généreuse de René Geoffrey, se distingue par une véhémence stylisée dans le phrasé, accompagné en cela par des chœurs souvent enfiévrés. Le discours est sans complaisance contre l’aliénation sous toutes ses formes. Les textes de Kan’nida, bien que gagnés par la nostalgie parfois (Evariste siyèd’lon), investissent en permanence, sous des apparences légères (chaque chanson se déroule comme un conte, avec des petites histoires faussement innocentes glanées au quotidien), le champ de la mémoire. Avec ou sans paroles (sur Konsyans notamment, morceau habité par la grâce du tambour et l’excès de sincérité), le groupe se veut radical dans la défense de ses racines. Sur Evolution, Kan’nida insiste, en hommage aux ancêtres : « Ils se sont battus pour la liberté/(…) trouvé une identité/ Et ont laissé des rituels que nous devons respecter. » Admet qui veut, mais n’est pas dupe qui l’on croit (« Aujourd’hui, on mange à sa faim/ On délaisse la tradition »). Sur l’album précédent (Vis an nou), on pouvait noter quelques faiblesses, dues au passage en studio. Sur celui-ci, les joyaux de famille brillent sous mille feux. Energie et spontanéité les accompagnent. C’est ainsi que des morceaux comme Kreyòl ou Baltazya respirent la fraîcheur des live sessions rondement menées. L’art de Kan’nida est ici d’une pureté qui confond même le novice. Un album indispensable.