Pertinente idée que le label distributeur belge Lowlands a eue de créer une subdivision entièrement dédiée aux musiques électroniques improvisées et enregistrées lors de performances live « localisées ». En effet, l’électronique tient une place de plus en plus importante et essentielle au sein des musiques de l’ici et du maintenant, comme tend à le prouver par exemple la fondation par l’éminent Keith Rowe (celui-là même qui a fait pénétrer le bruit en musique improvisée avec son collectif AMM il y a plus de trente ans) de MIMEO -pour Music In Movement Electronic Orchestra- en compagnie de Marcus Schmickler ou de l’écurie Mego.
Kaffe Matthews a ainsi fait de l’improvisation le propos central de sa musique, à tel point que l’intégralité de ses disques, sur son propre label Annette Works notamment (dont le sous-titre est « un label destiné aux œuvres utilisant l’exploitation de moyens électroniques en temps réel dans un lieu particulier à un moment particulier ») a été enregistré en public lors de concerts ou de performances. Elle a mis au point tout un ensemble de procédés lui permettant de transformer et de « convertir » divers matériaux sonores (autrefois les crissements de son violon, aujourd’hui le simple environnement sonore du lieu où elle joue, la guitare d’un partenaire) de manière aussi immédiate et instinctive que Derek Bailey peut frotter les cordes de sa guitare.
Elle poursuit ici jusqu’au bout l’idée de performance datée et localisée en compagnie de l’artiste-performeuse Hayley Newman -qui était à l’origine de la performance Rude mechanics, qui rassemblait à Londres, en 1996, autour de Pan Sonic divers artistes dont justement Kaffe Matthews, et qui se proposait d’étudier l’interaction entre sons et mouvement sur une période de cinq semaines. Ici, ce sont les mouvements même de Newman qui sont à l’origine du son, et l’interaction est plus évidente, puisque les mouvements constituent l’essence même du matériau sonore, alors que les divers procédés de transformation et l’interaction du moment fondent le propos artistique. Trois performances sont documentées : pour la première, Newman est habillée d’une combinaison recouverte de micro-contacts ; pour la deuxième, elle marche sur une caisse recouverte de capteurs sonores ; pour la troisième elle joue de tout un attirail paraphernal de la vie quotidienne.
Le résultat est extrêmement varié : Matthews joue des textures, et les sculpte pour arriver à un éventail allant du craquement quasi inaudible à la nappe bruitiste. Parfois des sons sont laissés tels quels, souvent ils sont méconnaissables et abstraits. Mais presque toujours, la présence humaine d’Hayley Newman se fait la contrepartie des paysages microtonaux et sévères de Matthews, créant un curieux décalage. La corrélation devient alors idéale, comme lors de la deuxième performance, où Newman murmure une amusante comptine sur ses chaussures grinçantes, que Matthews transforme en une adorable mélodie minimale. Le ludique embrasse de toute façon l’intégralité des trois performances archivées sur ce disque, jamais hermétiquement conceptuelles, d’une rare pertinence artistique.