En voilà un que l’on n’attendait plus, coulé par au moins dix mètres de fond depuis Cherchell, un de ces fameux « second album raté », il y a plus de 5 ans… Avec Notre Dame des limites, il retrouve la légèreté de son premier essai tout en laissant sourdre l’amertume des années passées, que l’on devine difficiles, même si le garçon doit avoir une certaine addiction au flottement. Changement de cap, Julien Baer promène sa voix, souvent proche de celle d’un Yves Simon sur le mode confidentiel, dans un décor aux tons afro-jazz-funk parfois customisé à l’electro.
Si la radio diffuse beaucoup le sautillant Drôle de situation, c’est le morceau d’ouverture, Roi de l’underground, qui étonne par son groove épique, assis sur des samples seventies, avec un Julien Baer en pleine dérive urbaine, perdu dans des visions de macadam, de déplacements furtifs qui donnent tout de suite envie de lui emboîter le pas. Etait-ce une feinte, on quitte rapidement la ville pour des contrées exotiques avec un Domi acoustique, aux prises avec une faune équatoriale, en plein désarroi amoureux « avec tes bras qui croisaient l’air partout / Et qui touchaient rien vraiment ». Plus loin, le son d’une kora cristalline charpente le magnifique Tu es une île, déclaration d’amour renouvelée par un angle géographique assez inédit (« Tu es une île / Autre chose / On peut pas te joindre / C’est toi qui dispose / Tu es une île / Un écran / Un archipel / Une Angleterre / T’es comme une France / En pleine mer / Si la terre tremble / T’entends plus rien / T’es qu’un ensemble / De chiffres lointains »). Plus que jamais, le grain de voix se fait chuchotant (Aide moi si je peux) ou le souffle comme coupé par l’émotion (on n’est plus très loin de Barbara sur En boucle, porté par un simple piano).
On aurait pu conclure au parcours sans faute et attendre le Baer sur la ligne d’arrivée d’une variété débarrassée de vulgarité et surtout des horribles tentations rétro adoptées par beaucoup (plus la peine de les citer). Hélas, quelques titres sont franchement moins heureux tel ce Naturel, quasi zouk, nous exhibant, pour notre grand embarras, un Julien s’essayant à remuer un corps qui n’en demandait pas tant sur des rythmes trop chaloupés pour lui… On pourrait aussi citer ce Nouvelle adresse, peu engageant au premier abord, et seulement à moitié convaincant à bien y regarder. Pourtant, tel un Gainsbourg, qui s’impose de toute évidence comme une des influences les plus identifiables, Julien Baer peut rendre l’exercice « reggae » assez naturel et évocateur, comme sur le fédérateur Jamais facile, quitte à le saupoudrer d’effets electro-pop. Julien Baer possède un force évocatrice qui nous conduit facilement à poser nos pas dans les siens, le dépaysement étant ensuite assuré.
Même si Notre Dame des limites ne semble pas voué à caracoler dans à la tête des charts (sans doute parce qu’il réclame qu’on lui laisse le temps de produire son effet), on sent Julien Baer tout à fait tenté par l’ouverture à un public plus large, populaire mais pas populiste, celui-là même qui l’avait reconnu à l’occasion de son seul tube, Le Monde s’écroule, en 1997. Sur Berceuse, notre chanteur des confidences semble avouer lui-même, entre les lignes, que ce nouvel album est une sorte de nouveau départ : « Cette nouvelle chance / Je la prends comme elle vient » ajoutant, généreux « Celui qui espère / Entraîne la terre entière ». Vu sous cet angle, ce premier album est plutôt prometteur et laisse présager d’autres voyages où l’on voudra embarquer plutôt deux fois qu’une…