Après avoir été le chouchou de ces dames d’avant-guerre, puis cloué au pilori de la musique facile par les censeurs de l’après-guerre, Jules Massenet semble aujourd’hui rentrer en grâces et reprendre discrètement la place qui lui revient dans le panthéon des musiciens français. Claude Debussy, qui par ailleurs cite l’auteur de Thaïs comme étant le compositeur le plus représentatif de la musique du XIXe siècle, ne dit-il pas à son propos qu’il est : « l’historien musical de l’âme féminine » et que « l’emportement voluptueux qui caractérise sa musique la fait aimer d’un amour presque défendu » ?
Voici donc un nouvel enregistrement d’une des partitions les plus sensuelles du compositeur qui, si elle n’est pas son chef-d’œuvre, montre une inspiration riche et originale. Hélas, la direction un peu terne et inégale du jeune chef Yves Abel ne met pas toujours en valeur la grâce charmante de cette musique, et de belles réussites telles que la sobre sévérité du premier tableau ou le tendre dialogue de Nicias et Thaïs n’occultent pas le manque de chaleur et de souplesse dont fait preuve l’ensemble.
Les solistes sont irréprochables sur la prononciation et le phrasé, mais Giuseppe Sabbatini est plus convaincant quant à la justesse d’expression que Thomas Hampson ou Renée Fleming. Le timbre un tantinet poussif de l’artiste américaine et son expressivité quelque peu uniforme donnent un caractère appliqué à sa Thaïs et ne mettent pas vraiment en relief la métamorphose psychologique propre au personnage. Une nouvelle version, donc, honnête et avec de beaux moments qui n’éclipsera pas sans doute celles déjà anciennes de Maazel (76) et Etcheverry (61), mais qui a le mérite de rappeler au présent une œuvre digne d’intérêt.
Epinglons au passage un paradoxe irritant : alors que Rodney Milnes, dans ses notes fort documentées, nous prévient contre la tentation d’un décor égyptien de péplum hollywoodien, l’illustration de couverture ne manque pas d’étaler le sourire Pepsodent de Renée Fleming sur fond de cartouches de l’Egypte ancienne ! Marketing, quand tu nous tiens…
Renée Fleming (Thaïs), Thomas Hampson (Athanaël), Giuseppe Sabbatini (Nicias), Stefano Palatchi (Palémon), Elisabeth Vidal (La Charmeuse), Marie Devellereau (Crobyle), Isabelle Cals (Myrtale), Enkelejda Shkosa (Albine), David Grousset (Un Serviteur). Solo de violon (Méditation) : Renaud Capuçon. Chœur de l’Opéra de Bordeaux, Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine, dir. Yves Abel.