Après Bon Iver, Wilco ou Fleet Foxes, c’est un autre musicien de Los Angeles qui ressort du placard les (doux) fantômes de Laurel Canyon, colline bénie des glorieuses 70’s. En 1969, fuyant les vapeurs de soufre qu’exhalait l’époque (Charles Manson, Altamont), de nombreux musiciens s’exilèrent vers les hauteurs de la cité des anges, où ils formèrent une éphémère et très créative communauté, toutes portes ouvertes (studios, maisons, lits), modifiant le songwriting californien, de la revendication collective à une plus douce introspection (c’est l’avènement des singer-songwriters), sur des rythmes plus lents et moins électriques, magnifiés par le matériel analogique (bandes, tubes, lampes), un « son » chaud et naturel, correspondant pour beaucoup à l’acmé en termes de production musicale. The Byrds, The Mamas and the Papas, Crosby, Stills & Nash, Joni Mitchell, Neil Young, Jackson Browne, Carole King, James Taylor, Linda Ronstadt, the Flying Burrito Brothers, America, firent ainsi les beaux jours de Laurel Canyon, inventant une formule magique, alchimique, rarement égalée, qui dérivera lentement vers le désenchantement FM et la prison dorée (Hotel California, de The Eagles, en étant le symbole déprimant).
Musicien du cru (il a bourlingué avec Robbie Robertson et Jackson Browne), Jonathan Wilson a réinvesti et ressuscité le « sanctuaire » (selon John Densmore, guitariste des Doors), « le jardin doré des Dieux » (selon Pamela des Barres, groupie en chef des GTO’s de Zappa), pour y produire sur bandes et avec des instruments faits-mains (il est également luthier), un long et beau premier album, Gentle spirit, qui marie la mélancolie contemporaine à la nostalgie de cette époque dorée. « A hundred blowin’ up in the headlines / We’ve seen it all before / The powers are killing the paupers / For some idea of God, or whatever » introduit ainsi le morceau titre d’une voix frêle et juste (rappelant Eliott Smith), donnant le ton sur un mellotron magique, une guitare vibrante, une batterie dont on sent le grain de peau, le soleil de l’Ouest américain inondant la chanson à chaque coup de cymbale. L’americana intranquille de Wilson avance en lentes explorations psychédéliques (Natural rhapsody), questionnant la futilité de la vie urbaine (Can we really party today ?), toujours célébrant la nature, le plein air, les éléments (Magic everywhere). Elégiaque comme un romantique allemand, idéaliste comme Henry David Thoreau (son grand-pére était un membre influent de la Thoreau Society, comme il l’explique en interview), crépusculaire (l’heure magique) comme Terrence Malick, Jonathan Wilson réunit lumineusement grands espaces et douloureuse intériorité. En cela, il rejoint un autre traditionnaliste américain, Bill Callahan, qui creuse aussi ces jours-ci vers l’intérieur une Apocalypse toute personnelle.
Il n’empêche, parmi d’autres rêveries soft-rock, les 8 minutes de vol d’aigle de Desert raven sont d’une beauté à ce point radieuse, qu’elles nous consolent (la musique console, c’est une de ces fonctions primaires), et nous apportent rien de moins que… l’espérance. « We’ve got to get ourselves back to the garden », comme le chantait Joni Mitchell en 1970.