Sous-titré Trio Fascination edition two, ce nouvel album fait suite à un volume du même titre, avec Dave Holland et Elvin Jones, que Joe Lovano avait publié l’an dernier, mais à la différence du premier, celui-ci présente le saxophoniste dans quatre trios différents chargés d’illustrer ses affinités musicales. Enregistré en deux jours et quatre séances seulement pour quatorze morceaux, le disque s’offre comme un « reflet complet » (« a total reflection« ) d’une personnalité musicale, en forme d’instantané photographique. Avec la maturité, l’alibi courant de nombreux disques touche-à-tout prend ici la forme d’une profession de foi accomplie.
De toutes, la formation la plus proche de celle du disque précédent est aussi la plus cohérente : elle regroupe le bassiste Cameron Brown et le batteur Idris Muhammad, partenaires actuels du leader. A la différence des autres morceaux, Lovano s’exprime principalement au ténor, laissant voir ce qu’il doit à Coltrane (il lui reprend Giant steps et Aisha, une composition de McCoy Tyner) mais montrant aussi pourquoi tant de jeunes saxophonistes reconnaissent une dette à son égard. A l’opposé, le trio qui l’associe au piano de Kenny Werner et à l’harmonica de Toots Thielemans, pourrait sonner très classique. Or, des variations très libres et simultanées sur I’ll remember april à l’interprétation poignante de Infant eyes de Wayne Shorter, on est étonné par la capacité de ces musiciens d’expérience à savoir profiter du danger. Du coup, ils ne dépareillent nullement aux côtés des deux autres formations qui réunissent plusieurs musiciens new-yorkais à la pointe de l’improvisation : un trio avec le trompettiste Dave Douglas et le contrebassiste Mark Dresser, et l’autre avec le batteur Joey Baron et le saxophoniste Billy Drewes. Le dernier assemblage cité est peut-être le moins convaincant des quatre, Drewes ne se montrant pas nécessairement un soliste très consistant au soprano malgré les stimulations de Baron, et Lovano s’égare dans une espèce de free jazz mou. En revanche, le triangle Dresser -Douglas- Lovano joue l’équilatère parfait et développe d’intéressants réseaux de correspondances… sauf quand Lovano, curieusement, se glisse derrière la batterie. C’est peut-être à ce niveau que réside le point d’achoppement de ce disque, qui l’empêche de susciter totalement l’enthousiasme : moins dans la cohabitation de formations différentes (à trois reprises Lovano commence un morceau avec un trio et le termine avec un autre) que dans l’absence d’un fil conducteur solide, qui aurait pu être d’un bout à l’autre, son saxophone ténor et la sonorité unique qu’il dégage. Par peur peut-être de lasser par une configuration ardue, Lovano a aussi voulu dévoiler sa panoplie d’instruments, dont certains rares (saxophone alto droit, C-Melody, clarinette alto et basse), sans pour autant leur trouver une place dans toutes ces triangulations. Il en découle un disque au gré duquel surgissent de grands moments mais qui, écouté d’une traite, peut paraître un brin décousu.
Trio n°1 : Joe Lovano (ts, cl, as droit), Cameron Brown (b), Idris Muhammad (dm) ; Trio n°2 : Joe Lovano (ts, ss, bcl, C-Melody, gong), Billy Drewes (ss, perc, afl), Joey Baron (dm) ; Trio n°3 : Joe Lovano (ts), Toots Thielemans (hca), Kenny Werner (p) ; Trio n°4 : Joe Lovano (ts, ss, dm), Dave Douglas (tp), Mark Dresser (b). Enregistré les 14 et 15 juin 2000 à New York.