On ne voit toujours pas le bout du tunnel. Quand la dance music s’ennuie, elle copie conforme. Quand elle est créative, elle update, elle met au goût du jour, esthétique, technique, technologique, politique. Voilà 2006, voilà Jimmy Edgar. Il fait un peu les deux. Sur son passeport il y écrit « Detroit » parce qu’il habite à Detroit. Il a déjà un album dans l’air du temps d’il y a deux ans à son actif, sorti sous le nom de Kristuit Salu vs. Morris Nightingale, mais ça ne nous intéresse pas vraiment, parce qu’il est sorti sur un label d’electronica (bouh, pas beau, bouh, ringard). Ce qui nous intéresse, ce qui vous intéresse, c’est qu’il y a écrit Detroit sur son passeport, parce qu’il faut une sacrée crédibilité quand on s’attaque à une sous-famille clairement identifiée de la dance music, et qu’on la copie conforme et / ou quand on décide de l’updater. En l’occurrence, Jimmy Edgar, 22 ans, né à Detroit, donc, a décidé de prendre son destin en main et de mettre à jour l’intégralité du catalogue Metroplex. S’il était né ne serait-ce que de l’autre côté du lac Oregon, on aurait pu lui tomber sur le pied. Mais ça va, parce que sur son passeport il y a écrit « Detroit ». La moelle de Color strip, donc ?
En 1985, suite au départ de Rick Davis du projet electropop Cybotron (vous savez, ce groupe qui a fait Clear, que Missy a mis en boucle, l’air de rien, sur son nullissime Lose control), Juan Atkins monte Metroplex, auquel il rêve depuis qu’il a 13 ans. Il sort immédiatement sous le nom de Model 500, le célèbre No UFOs, avant même les prémisses de l’acid house, puis la démoniaque electro de Night drive. Le reste est histoire avérée, Atkins multiplie les pseudos (Infiniti, Flintstones, Channel One), sort les disque de ses collaboration avec les amis (Eddie Fowlkes, Kreem avec Kevin Saunderson, 3MB avec Maurizio, Frequency avec Keith Tucker, X-Ray avec Saunderson et Derrick May…) et invente, en toute liberté, la techno et l’IDM qui s’écoute d’une même salve. Plus que n’importe quel autre label séminal du coin, UR ou Transmat, Metroplex a donc forgé, de toute pièce, la musique électronique moderne. On ne conseillera ainsi jamais assez au lecteur de se procurer le nécessaire album Metroplex 1985-2005, sorti sur Tresor l’année passée, et qui compile l’essentiel des morceaux réalisés par Atkins en solo sur son label, en particulier les débuts avec Cybotron. Son écoute prolongée en parallèle de Color strip, par contre, a de quoi le décontenancer, le lecteur.
Le jeune producteur semble en effet avoir à cœur de revisiter l’intégralité des genres et sous-genres inventés et abordés par Atkins, les uns après les autres. Electro martiale à la Cybotron sur My beats et la deuxième partie de Hold it, Attach it, Connect it, electropop moelleuse Hancock-ienne à la Model 500 sur Personal information, proto-house tranquille façon The Chase… et on rencontre quelques autres pionniers en chemin, Glenn Underground (inventeur de la deep), Marshall Jefferson, et même un peu de « bleep » à la Warp circa 1999 (Semierotic qui tape à son début comme une goutte d’eau de Richard H. Kirk). Producteur avisé, passionné, Edgar fait sonner son petit monde d’une très belle manière, chaque coup de beatbox emergeant d’un bain de jouvence numérique froid, tranchant, gris métallique, et d’une compression réglée comme maniaquement, à la pipette (les basses de LBLB Detroit feront résonner les plus retors des radiocassettes). Et puis ? Un peu d’update, aussi, on l’a dit : cascades de breakbeats qui dialoguent avec des nappes encrassées au dernier plug-in qui marche (I wanna be your STD), ambiant futuriste comme c’est plus permis (Chautraux), r’n’b robotique et vocodé (le morceau éponyme), découpages de voix crâneurs (sur le » Prêt-à-porter » en ouverture). De quoi s’exciter sur cette boutade old-school ? Un peu, en fait. Edgar, outre ses atroces velléités d’artiste total (il est graphiste et styliste, aussi, regarder le poser devant une silhouette de dame dans l’obscurité de la pochette intérieure), est un faiseur souvent inspiré. Ses montages de beats mettent souvent à genoux, jusqu’à la concurrence berlinoise, et bien plus au fait de ce qui marche et de ce qui marche pas sur une piste de danse. Edgar, prétentieux comme pas deux, préfère rester dans la classe de ses quartiers, pas forcément les plus efficaces. Ainsi, ses pompes sont assez rafraîchissantes, jusque dans leur manière de toiser le reste de la nation dance qui s’excite sur le durcissement des beats. Pas de tricks destructeurs, pas de gimmick daftpunkienrockachien comme dans un disque sur deux de dance actualisée de ces derniers mois, mais plutôt détours et classe. Enfin, même si ça fait un peu bizarre d’entendre la musique de Juan Atkins produite dans un laboratoire, on se dit que ça pourra toujours faire revenir deux, trois kids obsédés d’actualité aux basics, bien moins « produites », produit d’une époque bien révolue où on avait encore le droit de plonger, régulièrement, dans les terra incognita des machines et des logiciels.