Les tentatives d’associer orchestre symphonique et pop ou rock se sont toujours ou presque soldées par des catastrophes. Et l’on n’évoque même pas les atrocités du genre « Luciano Pavarotti chante U2 » ou les « Trois Ténors font leur fête aux Beatles ». En général, la rencontre des genres tourne à l’indigeste, à la boursouflure et au kitsch même pas drôle. Sauf, bien sûr, lorsqu’il s’agit d’un mutant tel que Jimi Tenor, inclassable explorateur musical, qui, sur Out of nowhere, a croisé le chemin de l’Orchestre symphonique du Théâtre de Lodz. Et il joue avec son orchestre comme un môme, emmenant les musiciens là où ses lubies l’entraînent : la grandiloquence et le crescendo angoissant de Blood on bortsch ; le psychédélisme façon Prince de Paint the stars avec un chœur classique faisant écho à son plus beau falsetto ; la ballade jazzy (Pylon) ; les improvisations façon musique contemporaine (Out of nowhere) ou l’un de ces cocktails détonants dont Jimi a le secret.
En plus d’être captivant, original et inattendu, Out of nowhere se charge de nous rappeler ce qu’est véritablement la soul, c’est-à-dire pas la version aseptisée de studio, recrachée par de soi-disant divas aux voix stéréotypées, mais celle que chante Nicole Willis (madame Tenor à la ville) sur Spell, morceau aussi envoûtant que son titre le laisse entendre. Hommage à Curtis Mayfield bourré de cordes superbement arrangées, saupoudré d’une touche d’insanité -les percussions indiennes et le sitar qui déboulent là où on n’osait pas l’attendre-, Spell fait partie des sommets d’un album qui vole déjà très haut.
C’est fou comme ça fait du bien d’écouter un album où l’on ne nous fait pas le coup du second degré, où l’on sent que l’auteur n’a pas cherché à écrire du faux easy-listening post-ringard néo-rigolo histoire de rire un peu -ou de ne pas trop se casser la tête à composer de vrais bons morceaux… Intelligent sans être pédant et séduisant sans être trop facile d’accès, Out of nowhere est un tour de force, venu après un précédent album qui avait laissé les fans de Tenor sur leur faim. Ils repartiront cette fois repus, mais pas gavés.