A un journaliste canadien affirmant qu’ Every dog has its day était son véritable premier album, Jeff Mills répondit par le silence. Comment arriver à une telle conclusion face à un musicien aux dix années de carrière, et auteur d’albums fondamentaux seul ou avec Underground Resistance ?
Peut être parce qu’Every dog has its day est le disque le plus mélodique de Jeff Mills, celui où les rythmes passent au second plan. Peut être aussi parce que Metropolis, qui avait ouvert cette voie musicale quelques mois avant, a été conçu, et donc apparemment perçu, comme une BO ne méritant pas le titre d’album. Voici une maladresse d’autant plus compréhensible que désolante, qui révèle comment des albums plus techno, plus dance-floors, demeurent dévalorisés, victime d’un préjudice d’incompréhension.
Every dog has its day est bien l’album le plus léger, le moins oppressant et oppressé de la carrière de l’américain, celui le moins destiné à la danse (les versions vinyles ont été limitées à trois cent exemplaires), même si le rythme binaire est partout présent. Un bel album, tendre et onirique, très accessible et pourtant un de ceux les moins voués au succès. Parce que son précédent (Metropolis) date d’à peine huit mois, parce qu’ il n’est pas assez dancefloor, mais reste complètement techno.
En déplaise à son auteur, voici l’album de Détroit que l’on s’était longtemps imaginé. Un album à la fibre rêveuse et nostalgique, qui renvoie à certains travaux très jazz et mélodiques, totalement synthétiques, réalisés au sein d’Underground Resistance (le morceau Pacific state of mind). Un album longtemps laissé en suspens, initialement entrepris en 1993 avec Robert Hood, et qui accueille pour la première fois des collaborations extérieures : le guitariste de jazz Brian Westley Johnson, la chanteuse du MidWest Belinda Jenkins et Mad Mike (le morceau Now is the time).
Un album introspectif, fait de souvenirs (Place de la Bastille, retour à l’ébahissement ressenti lors d’une des premières visites en ce lieu), de sentiments (son amour pour le Japon sur Shibuya-Ku) ou de fantasmes sur une Afrique méconnue et imaginaire (The Nomads of niger et Nights of Africa). Les morceaux demeurent marqués par ce syndrome particulier à l’américain de quasiment ignorer les introductions, de proposer dès le premier instant l’âme principale des mélodies. Un disque pas toujours convaincant dans son détail, mais qui réussit dans sa globalité, traçant des pistes captivantes quand il s’approche du minimalisme (Mercury’s downfall), ou se pose à la lisière de l’ambient (Jade)
Voici donc l’album le plus détendu de Jeff Mills. Un disque de réconfort, et non pas une illustration sonore insipide et inexistante, mais une musique qui accompagne le retour du corps vers la sérénité. Le premier véritable album de Jeff Mills ? Non, une autre vision de son approche des musiques électroniques.