Disparu tragiquement dans les eaux du Mississippi au printemps dernier, Jeff Buckley s’était imposé, en 1994, comme l’un des talents les plus prometteurs de sa génération. Grace, son premier album (marqué par toutes sortes d’influences – des Smiths au rock lourd de Led Zeppelin – qu’il sut transcender par la seule joie de communiquer de fortes émotions), s’attira les faveurs des critiques et d’un public trouvant dans ses chansons variées et d’une sensibilité extraordinaire une vulnérabilité peu commune à l’époque. Rarement un artiste de rock américain contemporain ne s’était ainsi mis à nu par le don d’une voix tutoyant celle des anges. A son écoute, les instants les plus fragiles de l’existence vous paraissaient éternels.
Toujours aussi éclectique, le disque paru ces jours-ci est tiré de sessions d’enregistrements avec Tom Verlaine (ex-Television), comme producteur, et complété par des démos travaillées par Jeff Buckley avec son groupe ou en solitaire (sur les six derniers titres aussi abrupts que fascinants).
De la sensuelle « Everybody Here Wants You » à « Jewel Box » et « Satisfied Mind », en passant par la mélopée « New Year’s Prayer », l’immense majorité de ces chansons qui n’avaient pas encore trouvées de direction finale, puisqu’il s’agit d’ébauches, résonnent pourtant de manière tout aussi vibrante que celles qui lui valurent tant d’enthousiasme de son vivant. Plongé au cœur de la création d’un artiste à la générosité débordante, l’auditeur se laissera happer par l’évidence de son génie. Jeff Buckley se permet toutes les audaces, repoussant ses propres limites, cherchant des voies jusque-là inconnues de lui, et poursuivant ainsi son travail visionnaire sur le mélange des styles (là où tant de compositeurs se contentent d’explorer une voie unique).
Reste, à son écoute, le regret de ce qui a été et ne sera plus. Une beauté et une joie déchirantes à faire peur. La promesse d’une grâce renouvelée.