Le trio de Jean-Michel Pilc, que ses deux albums enregistrés au Sweet Basil de New York avaient brutalement révélé au public français, n’a rien perdu de ses qualités ni de son originalité en quittant la scène pour le studio, où l’on aurait pu penser que sa musique tendrait à s’assagir. Plus concise et mesurée sans doute (avec toute l’incongruité qu’il y a à parler de « mesure » à son propos), elle reste d’une époustouflante -il faudrait même dire étourdissante- richesse et d’une superbe liberté, l’excès virtuose que l’on croit parfois pouvoir y déceler étant aussitôt pardonné de par l’inventivité et la spontanéité dont il est sans cesse fait montre. Et il faut l’une comme l’autre pour ouvrir le bal sur ce So what qu’on dirait poussé dans l’escalier, allègrement démantibulé et entaillé d’une brèche vers des développements inattendus ; ce ne sont d’ailleurs pas moins de onze reprises que nous propose ici le trio (quatre compositions originales pour le reste), de ce Miles Davis jubilatoire à un standard de bon aloi (Stella by starlight), de Duke Ellington (Solitude, I got it bad and that aint’t good) à John Coltrane (Cousin Mary puis Giant steps : quand un parachutiste du swing aterrit sur une cascade musicale) et Thelonious Monk en passant, pourquoi pas, par une curieuse version de Colchique dans les prés.
Les chemins empruntés et les coupes à travers champs (c’est le cas de le dire) sont, chaque fois, l’occasion d’une parfaite surprise : les itinéraires du pianiste français, qui n’hésite pas à passer brièvement par Mission impossible et La Panthère rose pour en arriver enfin, quelques mesures plus loin, aux Pas de géant de Coltrane, sont rien moins que prévisibles. François Moutin (contrebasse) et Ari Hoenig (batterie), pour l’y accompagner depuis plusieurs années maintenant (et l’y précipiter parfois), savent assurément jouer des mêmes chausses-trappes et série d’embûches rythmiques (de vertigineuses accélérations et décélérations) et mélodiques (cette phrase canonique de So what que croisent et décroisent paino et contrebasse au début du morceau) que le leader. Tape à l’oeil ? Disons plutôt folie swingante, équilibrisme sur le fil, haute voltige survoltée. Moins tourbillonnant qu’en live peut-être, le trio se livre ici d’une manière sans doute plus lisible, et convertira définitivement les mélomanes que n’avaient pas ébloui, pour une raison ou pour une autre, ses sessions new yorkaises.