Voilà Murat qui revient avec Lilith, un double album -« un triple vinyle », corrige-t-il avec quelque coquetterie- qui laissait craindre le pire tant son récent Moujik et sa femme le montrait tantôt gâchant son talent, tantôt bâclant comme un vulgaire cachetonneur… Est-ce que le glas avait sonné pour ce trouvère qui, voulant renouveler le discours amoureux (Enfonce-moi dans l’édifice), avait également construit en chemin une oeuvre atypique véhiculant un rock « en français » enfin crédible ? Ce même Murat n’a jamais eu à faire du rock pour l’être : dès lors, son projet, toujours reporté, d’enregistrer avec le Crazy Horse de Neil Young avait tout du fantasme à ne pas réaliser. Lilith le voit pourtant emprunter le sentier du loner dès l’ouverture avec Les Jours du Jaguar crépusculaire, tout en tension et saturation : « Dieu comment capturer un coq / Dans cette trop grande forêt / Me chuchote un bébé féroce / Dis saurons-nous un jour aimer ». Alors, on se dit que c’est peut-être lui qui avait raison. On retrouve également la batterie « à la Calexico » de Stéphane Raynaud (On ne peut rien en dire) et la basse économe de Fred Jimenez (La Maladie d’amour) qui habillent le premier CD d’une couleur résolument rock (Lilith et ses choeurs de succubes), même si ces 12 titres accueillent furtivement l’envoûtant Le Mou du chat, renforcé par les cordes subtiles de Dickon Hinchliffe (Tindersticks) et une ballade nue et charmeuse comme souvent : De la coupe aux lèvres…
C’est à ce moment, où l’on bascule dans le second volet de Lilith, davantage dédié aux ballades, que l’on saisit qu’entre Murat-rock et Murat-soft, on préfère retrouver « l’homme qui murmurait à l’oreille des femmes » : Se mettre aux anges balaie d’emblée toute hésitation et s’appuie sur des cordes et une mélodie en suspension au dessus d’une voix qui passe du registre sensuel (« Car tout est baratin / Luisant d’humidité / Une rivière dans la gorge / Qu’est-ce que je t’avais dit ») à la complainte érotique (Brillante de cyprine / Dans son juste milieu / On trouve sa mortelle / Les lèvres distendues), pour finir sans délai parmi ces fameux anges. Le reste est l’avenant : ce Qui est cette fille parlant d’ »humide secret », le folk capiteux de Emotion où « le bonheur tout nu / se croque tout cru » ou encore les six minutes qu’il prend à décliner Le Contentement de la Lady -pour ne citer que les suivantes-, confirment que le Murat qui compte est celui qui berce et ensorcelle, davantage que le rocker appliqué de Gel et rosée, dédié à Dominique Laboubée, leader défunt des Dogs, inspirateur de Clara, le premier groupe de Murat…
Toutefois, malgré ce retour à la case départ concernant l’ambition rock’n’rollesque, Lilith accomplit quand même le tour de force de s’égrener sur 23 morceaux sans jamais tomber dans le remplissage ou le délayage, et conserve une tonalité immédiate et urgente qui n’est sans doute pas sans rapport avec les percées lumineuses (La Nature du genre ou Tant la vie demande à mourir) qui viennent renouveler, ça et là, l’univers de notre auvergnat favori. Cet album fleuve ayant de toute évidence été conçu pour l’exercice scénique, on attend la nouvelle tournée de Murat pour voir de nos propres yeux quelle tête peut bien avoir cette Lilith.