La vie en plein air, il n’y a que ça. Murat revient, productif, authentique, allégé. Sur Le Moujik et sa femme, aucun risque de tomber sur un titre comme Nu dans la crevasse qui, musicalement et textuellement, était inaccessible pour tous ceux pour qui Murat n’est pas Dieu… Sur ce disque, pas de gonzesses, pas de pédés, des filles et ceux de Mycènes, certes, mais rien de choquant pour les petits-bourgeois mieux pensants. Renonciation ? Non, Murat n’est pas du genre à chercher à plaire à qui que ce soit (pas même son public). Contournement ? Certainement pas. Tout au plus un équilibre trouvé, presque par hasard entre les albums officiels et les productions qui le sont moins. Apaisement ? Vaste question : un jour oui, un jour non. Alors quoi ? Un superbe album, addictif, sensuel, balancé : des week-ends en Italie, du fond de commerce à faire se pâmer les demoiselles du premier rang et des titres quasiment dansables.
Murat revient et il n’a rien à prouver. Il chante pour lui, pour donner une forme à ce que ses neurones et ses sens associent. Il met en musique ses amours charnelles, le désir qui l’habite, sa curiosité pour les choses du corps, du coeur et de l’esprit. Murat crée sans arrêt mais sans s’en donner l’air, en évitant de se surprendre lui-même à travailler. Surtout ne pas forcer les muses. S’ouvrir et attendre que ce qui est rentré ressorte sous une forme sienne. Dire, par le biais de chansons, de quoi l’homme qui a accepté de se sonder est fait. Murat pêche des perles dans son océan intérieur, les ramène à la surface et les soumet. Sur certaines chansons (L’Amour qui passe), le ton plaintif est trompeur : Murat ne se plaint pas -enfin, pas dans ses chansons-, c’est juste que la prise de son est tellement proche qu’elle en devient troublante. Il ne peut s’empêcher d’aborder, sous toutes ses coutures, ce thème dont Miossec n’a pas l’exclusivité et qui est bien pratique car tellement ambigu dans la langue française : baiser.
Apparemment plus facile d’accès, Le Moujik et sa femme risque de faire basculer l’Auvergnat dans la cour des artistes connus. Reste à savoir si c’est tout le mal qu’on lui souhaite. Aujourd’hui comme hier, sa spécialité demeure la ritournelle au langage châtié (L’Au-delà), la caresse à fleur de peau qui mêle prosaïsme et poésie (Libellule). Le môme éternel enchaîne les chansons d’amour -si tant est que ce soit le terme exact- sur l’infini des rencontres possibles. Mais depuis qu’il a travaillé avec Dame Huppert, Murat mâtine sa voix de chanteur de charme (ne lui déplaise) à une diction coquine, comme il cultive l’alternance labiales et dentales, comme il jette le chaud et le froid. Les titres de ce nouvel album sont des pousse-au-crime sur lesquels l’Auvergnat murmure, l’air de ne pas y toucher, en laissant croire qu’il ignore son pouvoir de séduction (Foule romaine).
La particularité de cet opus ne réside pas dans les titres sombres qui faisaient de Dolorès un poison puissant, mais dans cette nouvelle tendance à se mêler de ce qui ne le regarde pas : la real TV tournée en dérision sur un titre tellement surprenant qu’il en devient indispensable (Baby carni bird) ou l’intrusion de l’actualité dans une valse contraire aux bonnes moeurs (Molly). Que ceux qui aiment Murat pour ses phrases cultes et la discrète philosophie de l’autodidacte se rassurent : ils pourront inscrire dans leurs carnets les aphorismes explicites de Libellule (« Eh les filles aux dernières nouvelles qu’on a, il vaut mieux jouir ici-bas ») et se passer en boucle la ballade nietzschéenne, Le Monde intérieur, chef-d’oeuvre absolu.