Du contrebassiste français Jean-François Jenny-Clark (1944-1998), on connaissait déjà un album solo : Unison, enregistré en 1987 (qui était d’ailleurs son premier disque sous son nom, après plus d’un quart de siècle de carrière professionnelle). Barre Phillips raconte dans ses notes de pochette que dès le début des années 1980, il « s’était permis de le pousser, de le cajoler pour qu’il prenne en face le défi de la performance en solo » ; il y reviendra une nouvelle fois en Avignon, lors du festival de la contrebasse « Bass 94 » : « Heureusement il a accepté, et heureusement le document n’est pas perdu ». On (re)découvre ainsi aujourd’hui ce concert solo d’une quarantaine de minutes enregistré au Théâtre des Halles par Gérard de Haro : une époustouflante performance à l’écoute de laquelle on peut apprécier toute la virtuosité et l’inventivité d’un jeu qu’il avait pu ouvrir à tous les contextes, des concerts avec Don Cherry ou Gato Barbieri dans les années 60 aux expériences avec Solal, Jarrett, Joachim Kühn, Michel Portal ou Daniel Humair (lequel explique dans un court texte : « il n’était pas toujours facile de s’intégrer à son concept de tempo fragmenté, indéfini, volontairement flottant ou à peine suggéré »).
Perfection et beauté boisée du timbre, justesse sur les tempos les plus rapides, exploitation de toutes les ressources de l’instrument, même les moins prévisibles, rapidité de l’exécution, créativité et humour : si la vision de l’instrumentiste fait cruellement défaut, on ne s’ennuie pas une seconde à l’écoute de ce concert surprenant, dont certains moments viennent rappeler la longue expérience du contrebassiste dans la musique contemporaine (membre de l’ensemble « Musique Vivante », il a travaillé avec John Cage, Luciano Berio, Mauricio Kagel ou Pierre Boulez). Si ce Solo n’est à l’évidence pas d’un abord immédiatement aisé, il illustre parfaitement le talent polymorphe d’un musicien qui compte à l’évidence parmi les plus grands du jazz moderne -Kühn le résume en quatre mots dans une phrase définitive : « J-F was a genius ». Et il sait de quoi il parle.