Entre le voyage au Pôle Sud du vétéran Chris Watson pour l’indispensable série de podcasts du label Touch et celui de Biosphere autour du Sørfjorden, l’hiver fut pour ainsi dire riche pour les amateurs de matières sonores en provenance du Grand nord. Membre du collectif Freq_Out et exploratrice invétérée de notre monde aural, l’artiste sonore Jana Winderen est également partie à la pêche aux diamants sonores au-delà du cercle polaire pour ce premier album sur Touch, dans la Mer arctique de Barents au-dessus de la Norvège et au Groënland. Véritable artiste sonore plutôt qu’investigatrice encyclopédiste, la Norvégienne voyage surtout pour ramener des matériaux bruts à la mesure de son esthétique paradoxalement surnaturelle et raffinée. Armée d’une pagaille d’hydrophones (des transducteurs qui permettent de capter les oscillations acoustique de l’eau, c’est-à-dire « d’enregistrer » sous l’eau) et de micros paraboliques dernier cri (ce genre), Winderen semble n’épier les recoins acoustiques des fragiles milieux et biosphères arctiques que pour leur emprunter leur âme et leur force secrète et se repaître de leur beauté luminescente.
Montages habiles d’événements crépitants et de mystérieuses mélopées étirées, les trois plages électrisantes et étincelantes de ce bien nommé Energy field raviront donc moins les amateurs d’écru scientifique que les romantiques les mieux disposés à l’émerveillement et à la contemplation. L’ouverture du premier morceau Aquaculture, qui convie chiens de traîneau, bise glacée en collisions de bouts de banquise ( ?) ouvre certes la fenêtre sur un décor identifiable type cinéma pour l’oreille, mais nous plonge vite la tête six mètres sous la surface de l’océan pour nous faire entendre sirènes et fantômes. Quelques courts effets de zoom saisissants mis à part (dont des exhalaisons d’air entre glace et eau, ahurissantes à l’oreille, qu’on entend aussi dans le Journey south de Chris Watson), Energy field s’apparente même idéalement à l’idée qu’on s’était toujours faite de ce joli cliché musical de l’electronica du milieu des années 90 qu’on appelait l’ambient arctique et qu’on désespérait d’entendre dans l’ambiant à nappes des vieux Biosphere (le classique Substrata ou les Polar sequences co-signées avec HIA en 1996) ou celui tout gris des albums de Thomas Köner sur Barooni : des longs aplats presque immobiles de matières à rêver aux origines indéterminées, dont les forces de gravité prodigieuses attirent jusqu’aux photons de lumière dans leur giron. Mystérieux et magnétique, Energy field est simultanément un don de la planète et l’oeuvre très personnelle d’une artiste avec laquelle il faudra compter, et s’y enfouir encore et encore (si possible au casque, tard dans la nuit) est un ravissement.