Dans le Wrestler de Darren Aronofsky se tient ce beau moment de mélancolie qui fait dire à Mickey Rourke que les nineties, via l’intransigeance cobainienne, ont tué le fun – et par là même, l’essence – de la musique rock. Contredisant cette théorie, J. Mascis est un cas à part dans l’historiographie du rock à guitares: définitivement associé à une scène grunge dont il est le plus crédible vétéran, il porte aussi en lui, à l’évidence, un pôle Axl Rose qui explose autant dans son (mauvais?) goût pour les accessoires mauve fluo que pour les soli à rallonge sur ses six cordes. Dinosaur Jr, son groupe issu de l’équilibre trouvé avec le frère ennemi Lou Barlow (et ses lunettes d’étudiant intello), fut l’alpha et l’oméga de cette décennie aujourd’hui célébrée – voir l’expo du Centre Pompidou Metz, coup d’envoi d’une estivale vague médiatique déjà rétro. Une décennie que le groupe aura quasiment, et avec quelques années d’avance, inventée. Le reformant dans son line-up originel en 2007, J. Mascis alterne désormais albums de Dinosaur Jr et disques solo. Tied to a Star, qui est après Several Shades of Why, le deuxième LP portant sa seule signature, confirme que ce versant de son œuvre, loin des exubérances hard (alors même que le fidèle Agnello est maintenu au mix), sonne curieusement indie-folk et semble ne rien chercher d’autre que la joliesse.
Or, si l’on accepte sans problème qu’un Mark Oliver Everett, par exemple, ait en ligne de mire le classicisme du Dylan le plus traditionnel, on n’attend pas précisément Mascis sur ce terrain. Pourtant, sa personnalité démontre aussi qu’il peut prétendre à une émotion qu’un Beck (dont les meilleurs albums sont les moins sentimentaux) n’effleurera jamais. Même si l’absence de mauvais goût frôle la faute de goût, on a beau attendre un peu de gras, on fond. Et si Wide Awake évite, à 2min30s, la sortie de route – qu’à vrai dire, on désire très fort – pour rester dans les clous et retrouver sa mélodie, on fait comme J. : on rend les armes. Devant ces petits motifs ciselés, cette voix qui s’excuse un peu d’aller chercher la tendresse, le doux renfort de Chan Marshall. Meilleur morceau d’un bel album, Wide Awake est un petit chef-d’œuvre discret, devant lequel n’ont pas à rougir d’autres réussites ici présentes, du single Every Morning au sensible And Then en passant par un Heal The Star vaguement R.E.M. période Automatic: ça sent le vrai bois mais aussi un peu le sapin, J. Mascis prend de l’âge et son songwriting devient pluvieux. Pris, peut-être, dans le « trop vieux pour ces conneries » (The Wrestler, again), le dinosaure senior acquiesce au classicisme de son époque – c’est-à-dire ce qui fut un jour l’indé du rock, devenu cliché éculé et norme frileuse.
Ce qui renforce ce drôle de sentiment, cette « désolation en mineur », c’est la répétition: pas un mot ou presque de cette chronique qui n’aurait pu s’appliquer à Several Shades Of Why, le précédent Mascis solo (un Me Again ouvre d’ailleurs le présent disque). Un solo sans trop de soli donc, sauf en fin de parcours sur Trailing Off comme une petite récompense, mais une récompense au goût salé de larmes. Les éclats se font plus rares, mais on sait qu’on reviendra s’abreuver à cette collection inégale et touchante de chansons, pour son électricité rentrée, sa douce intensité, son évidente beauté. Pour aussi cette mélancolie étrange et précieuse qui nous étreint, à accueillir sur son canapé un vieil ami fatigué. Voir le fan de Neil Young devenir Neil Old, quitter en retard l’adolescence, mais comme on quitterait le ring sans même avoir été mis K.O. : c’est beau et c’est super triste.