Ceci n’est pas un disque Universal. Edité pour ainsi dire à compte d’auteur, ce LP ne concurrencera pas Eminem ni Snoop Dogg dans les gondoles des hypermarchés. Vous ne l’entendrez jamais sur Skyrock. Ni même sans doute sur Nova. Ce qui n’est pas une raison pour ne pas en parler.
C’est même aujourd’hui le meilleur moment pour le faire. Après un automne où les poids lourds, de Outkast à Snoop Dogg, ont sorti les grands moyens, les choses se sont en effet un peu calmées sur le front du hip-hop. Le marché est toujours dominé par les grands albums de l’année dernière, qui projettent leur ombre par singles interposés, aucune sortie récente n’étant pour le moment venu effacer leur impact tellurique. C’est donc pour nous l’occasion de prendre la prochaine sortie et de quitter l’autoroute des succès platinés, pour nous engager franchement sur les chemins de traverse. Pour aller rendre visite à ceux qui, loin du trafic dollarisé du rap à vocation planétaire, cultivent un hip-hop fidèle à ses origines ludiques et modestes.
J-Live est de ceux-là. Depuis le milieu des années 1990, il s’est bâti une réputation de MC discret mais doué, une sorte de Best kept secret de l’underground new-yorkais. Ses apparitions discographiques (quelques 12’’ indépendants remarqués, un morceau sur Bomb worldwide, cette compilation sous-estimée sortie par Bomb Records il y a quelques années) avaient attiré l’oreille des connaisseurs, et l’ont rapidement positionné dans la lignée de ses compatriotes en storytelling, les Slick Rick et les Rakim. Un contrat trop rapidement signé, puis une restructuration discographique, et J-Live se retrouve alors sur le carreau avec son album sur les bras : ce The Best part qui sort enfin aujourd’hui, hélas dans un circuit plus que limité.
Ce LP intemporel méritait mieux qu’une sortie aussi confidentielle. Avec ses morceaux produits par Pete Rock, Prince Paul et DJ Premier, et le flow précis de J-Live, c’est un disque qui s’adresse à tout amateur de vrai hip-hop. L’album s’ouvre par un skit présentant le jeune J-Live à 14 ans vantant à la cafèt’ son idole Big Daddy Kane et improvisant un freestyle que le J-Live d’aujourd’hui reprendra en guise d’outro, une dizaine de morceaux plus loin. Tout le disque tient dans ce clin d’œil aux années dorées 1987-1990 : pas d’emphase ghetto fabulous, ni d’esbroufe gangsta, on est ici dans les miniatures façon Rakim, sur un fond laid-back riche en samples jazz-funk. Le hip-hop des années 1980 puisait dans les breakbeats transpirants des JBs ; les années 1990 allaient se tourner vers les rythmes ralentis du P-Funk ; l’ambiance est ici plutôt celle des disques de jazz des années 1960-1970, ces sons à la limite du rock et du funk, basses rondes, claviers électriques, guitares légères.
C’est en fait le disque que The Pharcyde cherche à faire depuis Runnin’. Il y a même un tube, Don’t play, entêtante mélopée qui fonctionne comme une parfaite musique de dimanche après-midi : hédoniste et déjà un peu mélancolique à la fois. La reprise du morceau en instrumental à la fin du disque (Play) permet d’apprécier toute la richesse de ses arrangements. Autres moments forts : Them that’s not et ses cuivres jazzy, Rage aux chœurs à la Naughty By Nature et Baggin’ writes, déjà sorti sous forme de maxi il y a quelques années. Tous les titres ne sont pas aussi efficaces, certains penchent un peu trop vers les mauvais côtés du jazz-rock (la subtilité chichiteuse) -mais pas au point de devenir chiants. On regrettera également de ne pas retrouver l’excellent Hush the crowd, qui se trouvait sur la compilation Bomb worldwide évoquée plus haut.
Bien sûr, difficile de dénicher ce disque, mais que cela ne vous empêche pas de chercher. Simplement parce qu’il est bon. C’est d’ailleurs en l’achetant que vous allez démontrer aux médiocres petits comptables qui ont décidé d’en priver le plus grand nombre qu’ils ont commis là une grave erreur.