C’est dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures recettes. Beck (dont le nouvel album sonne paraît-il comme Melody Nelson) ou les Strokes confirmeront. En 2002, au moins en ce qui concerne le rock’n’roll, l’invention ne semble plus possible et le talent aujourd’hui se mesure à la qualité des réinterprétations du passé. On est à l’heure du véritable post-rock, avec l’indifférenciation temporelle que cela suppose. La mode des bootleggs en témoigne. Dire que ce n’est pas bien n’avance à rien, puisque la qualité d’un disque de rock se mesure d’abord au plaisir qu’il dispense. Or voilà deux albums qui font plaisir.
On pourra longtemps gloser sur la somme des influences qui font chanter Interpol (Bauhaus, Joy Division, Josef K, The Smiths), il n’en reste pas moins que ce premier album du groupe new-yorkais fait plaisir. Parce qu’il est sincère, intense, bien foutu et bien écrit. Les jeunes cravatés d’Interpol savent écrire des chansons électriques belles comme des barbelés, et qui ont la stature de futurs classiques (ou de classiques du passé) : NYC, lente comme un jour sans fin, avec ses entrelacs de voix, ses guitares lointaines à la The Edge et sa basse presque dub, PDA, tendue et comme prête à vous claquer entre les doigts, avec cette manière toute new-yorkaise de gratter les guitares comme un groupe de métronomes (joli nom de groupe, ça, Les Métronomes), et de faire durer le morceau, et donc le plaisir, par une fin instrumentale de toute beauté. D’ailleurs le groupe excelle particulièrement dans ces longues cavalcades instrumentales, qui digressent en spirales autour du thème de départ (un peu à la manière de Sonic Youth, sur Roland). Evidemment, Say hello to the angels ressemble beaucoup à un (très bon) morceau des Smiths, mais puisqu’on vous dit que ce n’est pas de la nostalgie. Interpol est simplement un putain de bon groupe.
Pareil pour les Liars. Avec ce sens intense de l’explosivité, cet art de syncoper les éléments, en une furieuse bronca rythmique et mélodique, nul doute que ces jeunes new-yorkais ont beaucoup écouté le punk anglais (The Clash, Wire) et le post-punk new-yorkais (ESG, Liquid Liquid). Mais les Liars y mettent tellement du leur, et tellement d’autres choses encore (comme ces petits inserts électroniques distillés un peu partout sur le disque, ou ce dernier titre, une boucle de 30 minutes !), qu’on ne pourra jamais les taxer d’opportunisme. D’ailleurs ce premier album a été enregistré il y a plus d’un an maintenant, bien avant la mode ESG du moment à NYC. Ressorti sur Blast First aujourd’hui, il est un des disques les plus frais et les plus spontanés entendus ces jours-ci et laisse présager beaucoup de bonne chose venues de la Big Apple (on attend avec impatience les albums de Outhud, !!!, The Black Dice, Yeah Yeah Yeahs ou The Rapture). Liars, comme Interpol, est un groupe à ne surtout pas manquer sur scène.