En quelques années, Interpol s’est forgé une carrière comme peu y ont droit : quelques singles fastueux, un premier album imparfait mais modifiant en profondeur l’air du temps, et voilà un guitar-band culte et hype (Joy Division et Chloé Sevigny en filigranes) qui devient le groupe préféré des festivals rock, faisant le plein pendant deux ans de tournées non-stop ou presque, coincé entre Dionysos et les Chemical Bros. Interpol n’a visiblement pas su se préserver de l’ennui et du nécessaire cynisme afférents à l’exercice et se retrouve sans chansons le moment venu du deuxième album. Tirant sur la corde new-wave en diable (chant Ian Curtis, basses Hook, guitares répétitives que c’en est irritant, réverbs partout), le groupe accouche dans la douleur de dix petites choses dont seul Evil, avec son beat syncopée Pixies, ses réminiscences de Morrissey et son titre parfait, saura sans doute tirer son épingle « hit » du jeu FM. Le reste meuble sans surprise (beats disco, synthés pourraves), l’ensemble sonnant monolithique : tous les titres sont mixés pareils (guitare à droite, basse à gauche, chant au milieu), l’emphase du chant camouflant la pauvreté mélodique, les ambiances sombres et sales restant toujours trop propres et trop lisses. Là où on souhaitait évolution et nécessaire remise en question, le groupe joue la redite et ne transforme pas l’essai. Ce n’est pas simplement un effet de mode qui voudrait out le revival Joy Division (l’époque mélange tout désormais, tous les cycles sont simultanés) ou du snobisme (les médias ne rejettent pas toujours ce qu’ils ont aimé), mais simplement, cette musique, en elle-même, ne pose aucun enjeu vital, ne réveille rien, semble ne devoir exister que par l’engagement contractuel qui lie le groupe à son industrie. Ceux-là ont été pressés comme des citrons. Plus de jus. Dommage, mais prévisible…
A côté de ça, des quadras américains, hantés par les mêmes fantômes new-wave et kraut, nous donnent la chair de poule avec quelques effets simples (répétitivité simplement flippante, réverbérations subtiles, mais nécessaires) et des mélodies lancinantes. Windsor For The Derby, ce groupe texan de 10 ans d’âge, après l’excellent album post-rock Emotionnal rescue, intitule son cinquième album « Nous nous battrons jusqu’à la mort », We fight til death, noir et opiniâtre, un classique instantané de rock froid. Entre écho Cure (The Door is red), métronome Can (We fight till death) et glaciation Joy Division (For people unknown). Comme si c’était la frustration qui nourrissait les mélodies douces-amères de Dan Matz et Jason McNeely, le martèlement prog-krautrock, les réverbérations scotchantes, les ambiances sombres et froides, mais tendues à claquer, de ce disque dark et superbement jusqu’au-boutiste (la plupart des morceaux vont au-delà des 5 minutes). Certains membres jouent également dans un autre groupe explicite, I Love You But I’ve Chosen Darkness, auteurs d’hymnes new-wave qui mériteraient aussi bien plus que la lumière. Parce qu’ils vous aiment mais qu’ils ont choisi l’obscurité, parce qu’ils sont frustrés, parce qu’ils sont dangereux…