Compère des aventures musicales de Robert Wyatt, Hugh Hopper est avant tout un bassiste hors pair au son « fuzz » bien reconnaissable. L’avouant lui-même volontiers, il ne peut et ne doit pas se départir de ce son unique pour ne pas déparer son panel sonore. Et pourtant, tout aussi bien pionnier avec le groupe Soft Machine dans les années 70 que session man avec les plus grands, il a su trouver au travers de ses albums une couleur particulière et pleine de vie. Il allie donc, dans ses productions diverses, des accents jazz anglais (la « Canterbury touch » des années 70 et suivantes) avec des sonorités plus profondes, tirant vers des ballades humanisées au possible.
Delta flora, son dernier opus, sorti sur le label Cuneiform, ne dépare pas ses projets habituels récents, même si l’arrivée d’une chanteuse (Elaine di Falco), ajoutée au saxo d’Elton Dean (autre géant du jazz anglais), ne fait que renforcer l’aspect purement esthétique d’une musique jamais gratuite. Reprenant à leur compte nombre de titres du dernier album de Robert Wyatt (Shleep), la musique se récrée toujours avec un mélange quasi trip-hop de voix chaude, de rythmiques ternaires et d’une pulsation de basse vrombissante qui porte le tout vers des sommets d’intensité. Rappelant volontiers ses travaux plus jazz post-bop avec la pianiste française Sophia Domancich (membre du dernier ONJ de Didier Levallet), certains morceaux de l’album coupent les aspects trop faciles d’une musique qui, quoi qu’il en soit, passe et séduit. Des pauses instrumentales donc, sorte de souffles lancinants en attente d’un autre démarrage musical vers des horizons plus clairs. Pourtant la cohérence de l’album reste plus que surprenante et affirme sans doute la richesse compositionnelle d’un musicien qui, bien que peu reconnu en France, a su trouver au Japon et aux Etats-Unis un public conquis et fidèle.
Delta flora se déroule donc dans un calme apparent mais laisse sous-tendre des flots multiples de mélodies en couches successives. Saxo, batterie, flûte, basse et guitare se fondent et se démêlent intelligemment en évitant les clichés du genre. Jamais proche du jazz-rock, leur musique électrifiée est acoustique dans sa conception et sa réalisation fragile, peaufinée et toute en finesse. La connivence de ces musiciens qui travaillent ensemble depuis tant de temps fait le reste, et la magie opère à tout instant : magie d’un lieu (un petit studio perdu dans la campagne anglaise), d’un moment et des hommes. Un joyau à convoiter longuement.