En parallèle de ses activités commerciales, Mute continue d’être un label de musique passionnant, et ce depuis près de deux décennies. Pour preuve, les nouvelles régulières des pionniers de la musique expérimentale (plus ou moins industrielle et électronique) que sont Simon Fisher Turner, Boyd Rice ou Bruce Gilbert, qui prouvent que si Daniel Miller aime l’argent, il est aussi fidèle à ses camarades de la première heure (et dieu sait qu’ils doivent lui en faire perdre, de l’argent). Aujourd’hui, une partie des recettes engendrées par le Play de Moby sont réinjectées dans le cinquième effort solo du méconnu Holger Hiller (ce qui aura au moins servi à ça). Cet ex-Palais Schamburg, ce groupe allemand mythique de l’ère industrielle dans lequel on retrouvait Moritz von Oswald (alias Maurizio) ou (Thomas Fehlmann, pierre angulaire de l’electro berlinoise et membre de The Orb), pionnier du collage et de l’expérimentation électronique à mi-chemin de l’art contemporain et de la pop culture, sort donc son premier disque sous son nom depuis 1995. Et revient à la formule explorée sur As is en 1991, sur lequel Hiller mariait structures pop, collages et rythmes électroniques de l’époque.
Force est de constater que Hiller a été très marqué par les scènes électroniques expérimentales allemandes et autrichiennes qui le considèrent de toute façon comme une sorte de parrain spirituel. En témoigne la présence de Florian Hecker de l’écurie Mego au « sound processing » (que Hiller a d’ailleurs remixé sur son album de l’an passé) dont l’influence marque profondément l’esthétique de la plupart des morceaux, notamment les morceaux-collages (Curmbox, en ouverture, ou l’incroyable Pulver sur lequel un dialogue en allemand est éprouvé et découpé à l’aide de logiciels aléatoires). Ailleurs, Hiller rend hommage au plunderphonisme de John Oswald (samplé sur Come) et aux collages thématiques façon Brion Gysin ou musique concrète (Than I cut it into little dream units). Il récupère aussi certains affects de la drum’n’bass, comme ces rythmiques accélérées (sur Come) et surtout ces infrabasses vrombissantes qui constituent le corps mélodique du disque. Mais la plupart du temps, Hiller traite les rythmes comme il traite les autres sons (samples de musique contemporaine, de voix…), et on songe plus au dernier album de Potuznik (Concorde +) qu’au dernier LTJ Bukem… Seul bémol de ce disque sans cesse étonnant, l’impression d’écouter un interminable brassage de samples un peu aléatoire, comme un gigantesque spot publicitaire futuriste et avant-gardiste. Chose amusante, depuis quelques années, le principal gagne-pain de l’Allemand est la réalisation de bande-son pour publicités… Et ce disque d’apparaître comme un terrifiant témoignage de l’entropie informationnelle chère à l’écrivain Thomas Pynchon…