Grand saut dans le primitivisme ces jours, entre les cris d’indiens à New York et, encore et toujours, le recyclage à n’en plus finir des langues des campagnes américaines, on tourne le dos au gris métallisé du futur facile (électronique), on cherche l’étincelle simple. Les parisiens d’Herman Düne jouent de la langue morte du delta depuis une éternité et ont toujours fait râler les puristes, parce qu’il y a des langues qu’on parle mieux quand elle est maternelle. Avec le temps et la persistance (oh oui, ils sont persistants), l’activisme, les milliards de concerts chouettes (les garçons sont toujours sur la route, et presque toujours convaincants), le groupe a toutefois fini par mieux faire comprendre sa singularité franc-tireuse, festive, frontale, finalement bien plus rock et bien moins autiste et respectueuse des traditions que celle du grand manitou Oldham.
Herman Düne aime donc à avancer comme communauté, développant les réseaux (Julie Doiron, Kimya Dawson) en même temps qu’ils trouent et piétinent la tradition esthète, un peu à la manière de cette myriade de groupes suédois qui défigurent le Velvet ou The Microphones en chantant avec un accent plus vrai que nature une culture qu’ils ne connaissent qu’à travers des vieux CD rayés. Not on top, nouveau, mono, enregistré avec l’ami Richard Formby de Leeds (Spacemen 3) est donc bien chouette, bien simple, et encore plus frontal que les précédents. On entend la pièce dans laquelle il a été enregistré, on entend beaucoup Julie Doiron et la soeur des deux frères Lisa Li-Lund (c’est chouette les filles, c’est chouette les soeurs), on y entend parler de crise générationnelle et de peur de l’avenir ou de Calvin Johnson qui est mal assis à l’arrière de la voiture, on ne cherche pas une demie seconde un début de crédibilité trad’. Il y a toujours ce côté énervant, un peu nerd, d’avoir affaire à un fan de musique chiant comme soi en face qui fait le malin, et puis du remplissage un peu slack (c’est qu’entre les albums solo de David et André et les albums du groupe, ça n’arrête pas), mais la force de persuasion de l’enthousiasme sans borne du groupe est indéniable. Dans notre pays râleur et constamment jaloux (on a l’underground le plus glauque du monde), Herman Düne sont donc ultra précieux.
Pas si loin, Jason Molina a toujours fait figure d’outsider du renouveau indie folk US, toujours un camion derrière Oldham (sa voix fluette a toujours forcé la comparaison), et s’est toujours foutu de savoir si il parlait correctement le Johnny Cash. Là, il lâche son intimiste Songs : Ohia pour faire jouer ses chansons de manière nettement plus basique par un groupe rock simplet, et c’est une très bonne nouvelle, ses chansons étincellent dans un format folk rock pas si conservateur qu’il n’en a l’air. Le spectre Oldham aux fesses, on pense à l’immense Viva last blues, évidemment, mais aussi, au Crazy Horse de Neil Young : le contrepoint rock fait peut-être ressortir les accents country craignos, mais il transforme la tristesse absolue de Songs : Ohia en sourde mélancolie, pleine d’accents rageurs, et la voix de Molina en ressort grandie, érodée par l’épaisseur du son rock (Albini est aux manettes). Et puis, comme les Düne, il nous sort la carte féminine : une délicieuse, rocailleuse Jennie Benford, venue du bluegrass, décuple systématiquement Molina quand elle l’accompagne, et sublime The Night shift lullaby (chef-d’oeuvre du disque) quand elle chante en lead. Attention, ce discret disque pourrait bien devenir un petit classique avec la postérité.