Je n’aime pas tant l’idée que tout ceci ait un rapport avec l’interdiction de fumer des cigarettes, que depuis quelques mois on respire beaucoup mieux de ce côté-ci des clubs, j’aime mieux penser que deux poumons soufflent fort le chaud new-yorkais et le froid norvégien, petit fantasme – la house jamais plus grande que quand Larry Levan ou Daniele Baldelli poussaient leurs disques aux Paradise Garage et Cosmic Club. Et puis, il y a ces deux disques pour appuyer la seconde théorie, Hercules & love affair et Stayin in, qui me jettent leurs paillettes disco dans les yeux depuis un moment, sans que je trouve quelque mot à écrire dessus parce qu’à l’écoute, la tête remue un peu trop. Mais il faut bien s’y mettre un jour, parce que c’est trop bien au bout du compte, alors on y va dans l’ordre des sorties françaises.
On a trouvé ci-et-là plusieurs lectures du nom de projet Hercules & love affair. La première, quelque peu évidente avec la fixette sur la Grèce Antique (Athene) entendrait un Banquet musical avec pour sujet l’Amour gay, ses névroses, et pour guests le disert Antony et les érudits Andrew Butler et Tim Goldsworthy. Comme concept vendu sur papier, pourquoi pas, mais l’écoute dévoile moins une table ronde aux palabres somnifères qu’une vraie projection sexuelle sur la house de Chicago (la love affair en question) : le Hercules ici dressé, c’est cette musique toute entière dont on ne s’est plus ému comme ça depuis Joe Smooth ou Todd Terry – pectoraux tout gonflés, épaules sculptées et ceinture abdominale parfaitement redessinée pour l’occasion. Une basse sèche jouée sur synthé, les gorgées de chaleur d’Antony, les glissandi de guitare et un groove qui lui coule sur le corps comme une huile solaire, Time will résume ce fantasme un rien éternel qu’on partage évidemment très fort. Les parades suivantes observent d’autres atours plus classiques (slaps funk, chœurs et cuivres sur Athene et Hercules’ theme) jusqu’à ce bel écho de Larry Heard (You belong) et l’impossible climax vocal Blind. Courts arrêts hors du temps, Iris et Easy claquent un ou deux tubes et marchent tout robot sur les terres d’Arthur Russell et Brian Eno, avant l’inévitable retour des derniers corps en club, jusqu’au bout du disque.
L’autre album plus récent qui mériterait rien moins que les mêmes honneurs attribués aux Lindstrøm et Prins Thomas est le Stayin in d’un ex-mathématicien sorti de nulle part, Joachim Dyrdahl aka Diskjokke, petite merveille de disco chagrine et boréale signée sur l’incontournable label Smalltown Supersound, pleine à craquer d’odyssées spatiales et croisades interstellaires inimaginables. Genre ce premier Folk I farta virtuose, qui restreint un arpège de piano très libre à une seule boucle, puis inverse la bande pour tout redéployer sur une ligne nébuleuse et contemplative. Alors que Booka Shade a un peu perdu le chemin des étoiles en quittant les clubs, Større enn først antatt offre à son tour un ciel ouvert au Cosmic, avec la seule chaleur d’une basse épaisse et quelques blips qui gravitent en suspension. Interpolation et Flott flyt naviguent à l’inverse en eaux glaciaires, pour leur noirceur sous-marine, leurs changements de courants et profondeurs océaniques. Pour le reste, on vous laissera mesurer plus en avant l’étendue du champ parcouru par le bien mal-nommé Stayin in, avec une certitude néanmoins : ce mec-là empruntera bien plus souvent la voie lactée en musique que dans n’importe quelle carrière scientifique.