Henry Cowell est resté dans l’histoire de la musique comme un provocateur. Son concert du 5 mars 1914 au Saint Francis Hotel laissa le public consterné. Qui aurait pu écouter à San Francisco un tel bruit ? Les spectateurs, pourtant plus avertis du Théâtre des Champs-Elysées en 1913 n’avaient déjà pas pu apprécier le Sacre du Printemps de Stravinski, alors des clusters, des agrégats de sons faits avec le poing ou l’avant-bras sur le piano… Cowell avait même, bien avant John Cage, tenté de modifier le son de son instrument en plaçant divers objets entre les cordes, ou en frappant le couvercle. La modernité de ses conceptions attendront une génération avant de s’imposer, et on s’étonne aujourd’hui que ce pionnier ne soit pas plus admiré. Il a tout de même déplacé la limite entre musique et bruit, et l’interprétation de ses œuvres requiert une véritable implication physique (plus encore que pour jouer Bartók ou Prokofiev).
La Musique de chambre présentée sur ce remarquable double CD est un genre que Cowell a beaucoup pratiqué, sorte de panorama de son travail de 1916 à 1963, deux ans avant sa mort. Le style, parfait résumé des genres musicaux du XXe siècle, va du cérébral au sensuel. Les idées novatrices sont omniprésentes : forme ouverte, construction de motifs indépendants (patchworks que les musiciens jouent dans l’ordre qu’ils souhaitent), jusqu’aux « musiques simultanées », grosses machines aléatoires. Bien avant les formants de la troisième sonate de Pierre Boulez, il laisse en effet l’interprète maître de son destin. Il est « livré à lui même », précisera-t-il sur la partition.
Les Simultaneous mosaics ne comportent même pas de partition d’ensemble, et chaque instrumentiste joue et s’arrête quand il veut. C’est donc un hymne à la liberté qui est enregistré dans deux versions différentes sur ce CD. Et ça sonne ! Sans doute grâce à des instrumentistes inspirés, précis. Ils rendent cette musique fascinante, plastique, généreuse. Saluons particulièrement la participation du Colorado String Quartet ainsi que l’ensemble des musiciens, dont chaque membre est la preuve vivante que les compositeurs doivent tout à leurs interprètes.