C’est la nouvelle coqueluche des chasseurs de tête du jazz US : depuis quelques années, le trio Happy Apple (c’était le nom d’un jouet Fischer Price dans les années soixante) fait s’agiter les critiques des magazines spécialisés et bouger les jambes d’un public fidèle et, d’une manière générale, autrement plus jeune que celui des habitués des clubs de jazz. Il faut dire que nos trois lascars n’hésitent pas à aller présenter leur ébouriffante mixture sur les estrades des scènes punk et les espaces d’art contemporain, avec dans l’idée d’atteindre les oreilles des amateurs des Lounge Lizards aussi bien que celle des kids qui écoutent Metallica dans leur walkman. Pari réussi : la presse est enthousiaste, le public américain aussi (du côté de Minneapolis, ville d’origine du groupe, Happy Apple vend plus de disques que Redman et Carter réunis) et, avec ce Youth oriented à la pochette farfelue (un dessin de Boucq parodiant… la couverture du dernier Britney Spears !), le vieux continent ne devrait pas tarder à céder à l’épidémie (une tournée européenne devrait d’ailleurs suivre).
Plus fraîche que celle du trio MMW, trop subtile pour mériter l’étiquette « jazz-rock » mais trop irrévérencieuse pour être classée sans phrase dans les bacs de jazz, la musique de Dave King (batterie), Michael Lewis (saxophones, flûtes) et Erik Fratze (guitare et basse) oscille entre funk tendu et méditations électriques éthérées, binaire musclé et séquences improvisées libertaires ; la diversité des parcours (Lewis et King, camarades de longue date, ont jammé avec Carrothers, Cox ou Dewey Redman et fait les belles heures de quelques combos punk-rock locaux ; Fratzke, lui, a fait ses armes dans des groupes de heavy metal, et songe toujours à former un groupe de heavy instrumental…) et des influences (soul, jazz, rock, métal voire, dans le cas de l’insaisissable Fratzke, la musique contemporaine de Messiaen ou Schnittke) ne laisse jamais les trois hommes sans ressources et trouve écho dans la profusion des propositions et directions choisies. Cultivant l’héritage des trios jazz-rockeux héroïques des années soixante (le Lifetime de Tony Williams, le Cream de Jack Bruce ou, pourquoi pas après tout, l’Experience d’Hendrix), Happy Apple déménage. On pressent qu’un long chemin les attend, et l’on garde donc les grands épithètes pour plus tard : en attendant, on se mettra du Youth oriented plein les tympans en se disant qu’il y a là un trio à surveiller de très près.