Bon d’accord, Guillaume Dufay (ca1397-1474), ce n’est pas forcément marrant. Mais le Moyen Age n’est pas qu’une période horrible où les hommes se massacraient, mourraient de faim (pas plus qu’aujourd’hui, diront certains) ; il suffit d’écouter pour cela les petites chansons de Dufay (enregistrement du Studio Fruhen Musik) ou encore le roman de Fauvel pour se rendre compte que la musique n’était pas uniquement, sérieuse, ennuyeuse et religieuse (l’association des trois n’est pas exclusive !). Cependant, ici c’est de musique religieuse qu’il s’agit, et elle est vraiment très belle, d’autant que ce sont des œuvres à peu près inédites au disque qui sont enregistrées. En effet, il ne s’agit ni de la Missa sine nomine ni de la Messe Saint-Jacques mais de « fragments de messe » composés, ce n’est pas franchement précis, entre les années 1430 et 1450 (les musicologues débattent sur le problème ; une tentative de chronologie est esquissée dans le disque). Mais avant tout, plusieurs choses doivent être dites, comme pour faire une mise au point historique.
Après le siècle de toutes les expériences (le 14e siècle), le 15e clarifie un peu les choses, notamment en ce qui concerne la définition des différents genres et en particulier dans les genres religieux et liturgique constituant la messe. A l’époque, l’écriture par un compositeur unique de l’Ordinaire cyclique de la messe n’était pas encore instituée définitivement. Dufay en est le premier instigateur et représentant. Pour autant, il a continué à écrire en parallèle des fragments séparés en tant qu’héritier du 14e siècle. C’est dans ces œuvres qu’il a expérimenté les transformations majeures du siècle à venir. Représentant de l’école franco-flamande, attaché à la cour de Bourgogne où se développe un certain faste, à l’origine des premières maîtrises vocales, il a révolutionné le langage musical. La polyphonie évolue, complique le cantus d’ornements (mélodie préexistante sur laquelle repose toute la polyphonie), le fait passer aux autres voix… Il a subi des influences autant anglaises qu’italiennes, et a réussi ainsi à développer un art de synthèse absolument décisif, qui ouvrît la porte à Josquin des Prez.
Si une partie des pièces est interprétée a capella, c’est pour notre plus grand plaisir, car la fluidité, la subtilité des voix est magnifique. Les interprétations avec instruments sont aussi réussies. En clair, il faut absolument découvrir l’œuvre de Dufay (ainsi que celle d’Ockeghem) ; pourquoi ne pas commencer par ces œuvres qui sont aussi belles qu’essentielles pour la musique ? En plus, cela nous redonne l’occasion, toujours agréable, de sortir de nos classiques.