Dix-neuf titres en quarante-six minutes, soit un peu plus de deux minutes par chanson : les Guided auraient-ils pondu des titres formatés radio ? Non, que le fan se rassure, Robert Pollard ne s’intéresse toujours pas à l’industrie musicale. Même si celle-ci aurait depuis longtemps eu tout intérêt à récupérer les micro-power-pop songs de ce génie foutraque. Universal truths and cycles, le nouvel album qui s’est relativement fait attendre (plus d’un an entre deux opus, un record), est bien plus produit que Bee thousand et Alien lanes, deux piliers lo-fi. Mais même si les arrangements sont moins abrasifs que sur les enregistrements 4-pistes, le résultat est tout aussi joyeusement bordélique et volontairement déconstruit qu’auparavant.
Aux chansonnettes de 30 secondes bancales, syncopées, envoyées à la va-comme-j’te-pousse qui serviraient de base à des tueries chez Weezer (Back to the lake), succèdent de vrais tubes en puissance. A l’image de son titre aussi imprononçable qu’improbable, Christian animation torch carriers aurait pu être une grande chanson si Pollard avait cédé à la facilité en reprenant en boucle un refrain accrocheur et surtout si, au lieu d’une belle anarchie utopiste égalitaire, il avait fait marcher ses troupes au pas. Mais les influences se bousculent au portillon : dans une grande entreprise de déstabilisation, GBV brouille les cartes, amorce une mélodie classique avant de se livrer à un solo de guitare qui ravirait les fans de heavy metal. Quand le potentiel de la chanson gonfle trop (Cheyenne), tous les membres du groupe camouflent méthodiquement leur génie dans une auto-parodie tragi-comique : la voix fait du saut à l’élastique entre les octaves pour désamorcer toute tentative de reprendre le gimmick sous la douche, les guitares alternent arpèges mielleux et disto, et des choeurs kitsch à souhait viennent renforcer le décalage. Mais quand ils ne tuent pas les mélodies dans l’oeuf (The Weeping bogeyman) et oublient de faire semblant de chanter faux (Factory of raw essentials), les GBV accouchent de titres non seulement efficaces (l’adjectif leur colle à la peau) mais surtout extrêmement attachants. Sur Everywhere with helicopter, exception qui confirme la règle, Pollard ne fait pas l’enfant gâté qui prend plaisir à casser son plus beau jouet : l’air de ne pas y toucher (que le succès ne s’approche pas trop quand même), il fait un clin d’oeil au Shinny happy people de REM et termine sa chanson en souriant, sans même une batterie à contre-temps.
Comme tous les albums des Guided by Voices, Universal truths and cycles fait le grand écart entre la pop et le métal, manie alternativement l’insouciance et la mélancolie, à l’image sans doute de l’état d’esprit des musiciens. Entre les titres qui torchent le sujet en deux coups de cuillère à pot (Love 1) et ceux dont l’émotion ferait pâlir d’envie Michael Stipe (Zap), des cordes s’immiscent à contre-emploi, en dièses et en bémols, pour prouver une fois pour toute que cette musique, pour ne jamais se prendre au sérieux, peut se permettre toutes les fantaisies.