La bio dit : « Revenu du laptop et du free-jazz, Grizzly Bear compresse le rock et dilate la folk. Des images de chambre recluse, d’urbanisme indomptable et le bourdonnement incessant de New York combattu par des mélodies universelles. Dans ces mêmes rues, sur ces mêmes murs, on a vu Animal Collective ou Sebadoh, un Sufjan Stevens débraillé ou un Vincent Gallo assagi ». Pas sûr que ces comparaisons prestigieuses puissent être mises au profit de Grizzly Bear, qui, s’il a fait un bien beau premier album, n’a sans doute pas pondu un classique à hauteur de ces maîtres. La comparaison risque de le desservir. Et pourtant, ce serait dommage, tant ce Horn of plenty s’avère à l’écoute attachant, pour sa modestie et ses partis-pris de production inédits. S’il est un peu long en bouche, l’album d’Edward Droste distille petit à petit sa douceur vénéneuse et hypnotise bien l’auditeur, avec son air de ne pas y toucher.
Edward Droste, jeune homme de New York (lire notre entretien), après mise en bouche et en boucles, a enregistré sur dictaphone ses petites litanies de poche, les a transférés sur Pro-Tools, et son pote Christopher Bear (dont le nom n’est que pure coïncidence) est venu poser ses arrangements là-dessus (guitares, claviers, batteries, laptop). En résulte 14 titres ambidextres et doubles, superposant le souffle lo-fi d’enregistrements home-made et une réelle précision numérique. Travail à quatre main qui fait de Horn of plenty un curieux mélange de spontanéité diffuse et de post-production racée : comme si Nick Drake s’était fait remixer par Arthur Russell, ou quelque chose comme ça… Résultat : des chansons à la lenteur compulsive, sur une guitare brossée, le chant dans un souffle, le tout entouré de textures et bruits comme un nuage cotonneux, auxquels se superposent des arrangements mouillés ou diffus, overdubs de voix doublées en panoramique, de frisottis électroniques. Le sens du détail fait (patte de) mouche sur des chansons qui s’avèrent de plus en plus brillantes à travers les écoutes successives. Car si on est surtout premièrement frappé par le soin apporté à la production, on découvre aussi en Grizzly Bear un vrai songwriting, flirtant avec Nick Drake (dépressif) et Vincent Gallo (décousu), avec des paroles gentiment amoureuses (« My chest hurts a lot tonight / Maybe you can fix that »). Un disque qui s’allonge.
Pour bonifier le tout, un deuxième CD accompagne cette édition française, de remixes plus ou moins dispensables, mais qui recèlent quelques grands noms venus soutenir avec classe et générosité ce premier lancer. Efterklang, Soft Pink Truth, Ariel Pink ou Castanets relisent ainsi Horn of plenty à l’aune de leurs préoccupations musicales, et c’est une belle rencontre qui étend au-delà de ses propres frontières l’ouverture du songwriting de Grizzly Bear à des formes plus abstraites, ostensiblement sonores. Ce disque entre deux chaises, transfrontalier et hospitalier, joue entre le dedans et le dehors, l’intime et le collectif, le singulier et l’universel, d’une manière joliment inédite, qu’il faut saluer.