Ce disque est une obligation. S’il n’y en avait qu’un, ce serait celui-là. L’évidence et l’exigence, la vérité et la perfection comme seuls guides. Arturo Benedetti Michelangeli ou le seigneur de la musique. Bien sûr, le Concerto pour piano de Grieg n’est pas celui de Ravel. Qu’importe, car il y a le 1er cahier des Préludes de Debussy et cela, c’est absolument insurpassable. Ajoutez que ce sont des concerts, ce qui vaut souvent mieux que le studio dans la plupart des cas. On connaît certes d’autres enregistrements mémorables des oeuvres réunies ici. Par Michelangeli lui-même, tout d’abord : Testament avait publié un témoignage -c’est vraiment le mot- capté en 1942 du Concerto de Grieg. On avait déjà ressenti une profonde émotion mais la qualité sonore faisait terriblement défaut. Par ailleurs, dans les années 70, Deutsche Grammophon s’était attaché les services de cet aristocrate et lui avait « commandé », entre autres, un disque Chopin (avec 10 éternelles mazurkas) et l’intégrale des Préludes de Debussy. La révolution fut grande alors ; les fervents défenseurs d’un Debussy brumeux (genre Gieseking) en prenaient pour leur grade. Cependant restaient encore gravées dans les mémoires les interprétations de Dinu Lipatti pour le Norvégien et d’Arrau pour le Français. C’est maintenant oublié. Il ne nous reste plus que cela pour vivre.
On rit d’entendre dire -on taira les noms- que Michelangeli est froid, glacial, voire mortel. On sourit de penser que d’autres pianistes rêvent encore de faire une grande carrière. On envie ceux qui vont découvrir Michelangeli. Cette hargne, cette fougue, ce panache, cette articulation uniques tiennent du sacré. Encore que, encore un coup dans une idée reçue, Michelangeli ne joue certainement pas du bout des doigts. Il n’y a qu’à écouter l’attaque du 3e mouvement du Concerto de Grieg. Souffle coupé. Virtuose, il l’était et il savait l’être dans le bon sens du terme. La précision diabolique avec laquelle il innerve le rythme est un miracle. Les applaudissements délirants (conservés) du Royal Festival Hall n’éclatent pas par hasard. Peu de spectateurs ont dû oublier ce moment. D’autant que le monsieur se faisait plutôt rare. Sa maniaquerie quant à son instrument est justement légendaire. Quand il ne le sentait pas, il annulait. Caprice de star ? Non, respect de l’acte musical tout simplement.
Claude Debussy lui correspondait bien pour cela, lui qui plaçait la musique au-dessus de tout. Il y a comme un paradoxe à l’écoute de ce disque car l’interprète semble n’avoir jamais été autant roi. Mais, plus que les noms, c’est l’essence même du sonore qui nous est restitué au long des 12 pépites ciselées dans l’or par Debussy et Michelangeli. Le plus beau couple de l’année sans doute. La Cathédrale engloutie nous submerge bel et bien. Partout la danse, les parfums dans l’air du soir. Résolument définitif.
Arturo Bendetti Michelangeli (piano), New Philharmonia Orchestra, Rafael Frühbeck de Burgos (direction – Grieg). Enregistrés live au Royal Festival Hall de Londres le 17 juin 1965 (Grieg – Mono) et le 13 avril 1982 (Debussy – Stereo)