Avant le Miroirs de Stephan Oliva, ce Cantopiano est le pénultième volume de la très belle série « Standard visit » imaginée et mise sur pied par le producteur Philippe Ghielmetti : une série de disques de piano solo pour creuser, méditer, repenser ou jouer avec l’idée de standards, « cent ans après les débuts de W.C. Handy ». De Giovanni Mirabassi, on a déjà eu l’occasion de dire combien est fabuleuse sa propension à faire chanter tout ce qui lui passe sous les doigts, à plonger au cœur de la mélodie pour lui donner toute sa lumière, à la faire sonner dans toute sa simplicité, avec une générosité inimitable. Avanti !, voici quelques années, lui avait déjà permis de se confronter en solitaire à quelques compositions d’autant plus mémorables qu’elles faisaient partie du patrimoine historique de la révolte politique (un disque qui, à l’époque, lui avait valu quelques critiques moins musicales que proprement politiques, justement, avec l’idée que des compositions de combat ne pouvaient être légitimement reprises que dans le cadre d’une musique qui soit elle-même de combat, une musique révolutionnaire et non académique -ce que n’était précisément pas la musique de Mirabassi, dont ça n’était de toutes façons pas le problème) ; il s’attaque ici à quelques grands morceaux de chanson française, d’hier (Il venait d’avoir dix-huit ans en ouverture, Quand Maman revient de Brel, Dis, quand reviendras-tu de Barbara) et d’aujourd’hui (Alexis HK, Agnès Bihl).
Sur des formats très courts (autour de trois minutes le plus souvent), il fait ce que personne aujourd’hui ne fait mieux que lui : faire chanter, justement, ces compositions souvent très connues (lui-même laisse ici et là entendre un murmure geint à la Jarrett par-dessus le son du piano), quitte à les jouer telles quelles, presque sans ornementation (la Cécile de Nougaro, commencée de manière cristalline dans les aigus, en toute simplicité). D’autres thèmes lui fournissent un prétexte ou un terrain pour d’admirables développements modaux dans lesquels son sens du rythme et de la construction se conjugue avec celui, décidément jamais en pris en défaut, du chant et de la mélodie. Cantopiano, c’est clair, ne devrait pas réunir les inconditionnels et les détracteurs du pianiste italien. Les seconds diront « mièvre », les premiers répondront « sincère » ; les seconds diront « sans audace », les premiers répondront « sans complexe » ; les seconds diront « facile », les premiers répondront « lyrique ». Inutile de préciser qu’on se tient plutôt dans le deuxième camp. De toutes façons, les six minutes de La Fleur du large, la chanson qu’il a composée pour Agnès Bihl, sont suffisamment enthousiasmantes pour réconcilier tout le monde : un moment magique de « pianisme » (un mot qu’avait utilisé Philippe Méziat à propos d’un album solo de D.D. Jackson), pas le moindre de la série dans laquelle il s’inscrit.