On avait manqué il y a quelques mois le Gilad Atzmon écrivain pour cause de report sine die de la traduction de son premier roman, Le Guide des égarés (on guette soigneusement les prochains programmes de son éditeur français, Phébus) : on ne passera en revanche pas à côté du Gilad Atzmon musicien (il est saxophoniste, clarinettiste et flûtiste) et de cet Exile explicitement placé sous le signe d’une Palestine qui hante tous les versants de son oeuvre (les notes de pochette ne font aucun mystère des enjeux politiques de sa démarche). Si c’est à Londres que cet israélien a choisi de mener sa carrière artistique, c’est bien vers le Proche-Orient que le ramènent systématiquement ses goûts culturels, ses obsessions thématiques et ses préoccupations citoyennes ; les sept compositions originales de l’album sont ainsi délibérément construites « sur les ruines de chansons juives traditionnelles et de mélodies nationalistes israéliennes » et traitées sur des tons et dans des couleurs ostensiblement arabisantes, d’où une fusion provocante sur les intentions desquelles, une fois encore, le musicien est on ne peut plus clair : « The decision to make use of Jewish and Israeli tunes was very deliberate. How is it that people who have suffered so much and for so long can inflict so much pain on the Other ? ».
Si ce background politique insistant et pour le moins démonstratif empiète quelque peu sur la musique (on pourrait discuter jusqu’au bout de la nuit de la légitimité de l’attitude d’Atzmon et de la manière qu’il a de convoquer son art sous les drapeaux de ses convictions), il n’en amenuise en rien l’inventivité et l’énergie ; entouré des dix musiciens de son Orient House Ensemble, il donne à entendre une musique furieusement engagée et impeccablement épicée dans laquelle on repérera des pistes sonores menant aux quatre coins du Proche-Orient. Autour d’un quartet jazz classique (Frank Harrison, piano ; Yaron Stavi, basse ; Asaf Sirkis, batterie), les instruments ethniques et musiciens d’autres horizons apportent à l’univers débridé d’Atzmon sa couleur et ses rythmes originaux : accordéon (Romano Viazzani, Koby Israelite, Peter Watson), violon (Marcel Mamaliga), flûte (Gabi Fortuna) et, surtout, les voix envoûtantes de Reem Kelani et Dhafer Youssef (qui n’a pas oublié son oud). L’intelligence des arrangements et la fougue de l’interprétation éloignent définitivement cet Exile du piège des assemblages sans âme et des brouets world commerciaux, même si on l’aurait parfois aimé moins net et plus libre. Paroles, titres des morceaux et texte du leader, eux, sont sans équivoques : « This album is a call for attention to Palestinian suffering. It is a prayer for the world to acknowledge the Palestinian essential right of return ». La franchise de l’engagement d’Atzmon, pour ne laisser personne indifférent (qu’on partage ou non son point de vue), suffit à elle seule à garantir la force de son caractère. Anche en bouche, il n’en perd rien.