Si c’est à Munich (où il joue avec Hampton Hawes et Benny Bailey) puis à la Berklee School of Music (où il rencontre Dizzy Gillespie) que George Mraz est venu au jazz, c’est bien à sa Moravie natale que le ramènent ses premiers souvenirs musicaux, thèmes et mélodies traditionnelles auxquels, à soixante-et-un ans, il consacre ce remarquable album. On ne saurait trouver meilleur initiateur pour cette rencontre féconde et inédite du mystérieux lyrisme bohème des chansons tchèques et d’un swing irréprochable sur lequel se reposent ses trois partenaires ; près de quatre décennies après un aller Prague-New York (il a quitté la capitale tchécoslovaque en 1966, à la même époque que son compatriote Miroslav Vitous), son retour vers l’Est compte ainsi douze étapes chantées par la remarquable Zuzana Lapcikova -que l’on entend également au cymbalom-, introductions poétiques aux improvisations du trio.
Si l’on reconnaîtra avec plaisir les cymbales du solide Billy Hart, on découvrira le jeu nuancé et original du pianiste Emil Viklicky, auxquel ses racines musicales (« a folkloric border between Bohemia and Morava ») donnent une place tout à fait particulière dans le climat mélancolique et évocateur de ces douze morceaux. Le classicisme des arrangements n’est pas ici la moindre marque de la personnalité du contrebassiste, dont les soli permettent de retrouver la sonorité profonde, la remarquable vélocité et, surtout, la constante imagination. Voyage ensorcelant au coeur d’une vieille Europe que ravivent l’énergie et la vivacité du swing, ce Morava particulièrement réussi emporte autant par la qualité du jeu des quatre musiciens que par son indéniable poésie, pudique et étrangement nostalgique.