GCTTCATT : derrière ce nom mystérieux et imprononçable se cachent deux artisans activistes des nouvelles musiques électroniques improvisées. L’autrichien Mathias Gmachl est membre du collectif Farmers Manual, qui a tant oeuvré pour fonder l’esthétique de Mego, et le platiniste australien Martin NG fait partie de tout un cortège de nouveaux improvisateurs aux idées longues en provenance de Melbourne. C’est donc deux mouvements en ébullition qui se rencontrent ici, pour neuf fragments d’improvisations enregistrées en concert à Melbourne et Vienne dans le courant de l’année 2000. Le duo est même parfois rejoint par le guitariste Oren Ambarchi, autre dignitaire australien, auteur d’un sublime album de nappes saturées en suspension l’année dernière sur Touch.
On aurait pu craindre de cette rencontre qu’elle soit un peu convenue, plus convaincante sur le papier que sur bande -comme ce fut un peu le cas avec les disques de MIMEO (collectif d’improvisation électronique dirigé par Keith Rowe et dans lequel on retrouvait Fennesz et Pita, deux autres piliers de Mego), finalement très « esthétiquement corrects » dans le paysage un peu morne et autosatisfait de la musique improvisée académique. Mais le procédé mis en place par les deux musiciens est plus innovant : Martin NG génère du son en triturant ses platines vinyles et CD, pendant que Gmachl le traite en temps réel via son ordinateur et ses patches maison (ces mini-programmes élaborés à l’intérieur de Max-MSP ou Super_Collider). De plus, quand on connaît le goût de Gmachl au sein de Farmers Manual pour les dérapages et le chaos en bout de course, on se disait que cette rencontre ne pouvait pas être conventionnelle.
Voici donc 36 minutes d’intense déconstruction/reconstruction, où les scratches aléatoires de vinyles et autres tressaillements de compact disc (on reconnaît ça et là des résidus numériques de hard rock ou des poussières fantomatiques de voix) deviennent matière première aux envolées numériques les plus folles. Le début du disque rassemble assez curieusement les moments les plus convenus, mais dès Sollbruchstelle et ses samples de guitare tapping progressivement vidés de toute substance reconnaissable, le « real-time data processing » de Gmachl s’intensifie, jusqu’à faire disparaître les sons de Martin NG dans un nuage de poussière numérique. Voilà une manière de dialoguer véritablement inédite, il est vrai plus dans le résultat esthétique que dans le procédé -on garde par exemple en mémoire les rencontres entre le saxophone d’Evan Parker et les traitements électroacoustiques que lui faisait subir Lawrence Casserley- où les individualités artistiques fusionnent en une émulsion de matières sonores inattendues. Un bol de radicalisme bienvenu sur Mego après la déferlante pop Endless summer de Fennesz de cet été et une nouvelle preuve accablante que Mego innove.