Premier d’une série nouvellement créée pour donner accès au meilleur des musiques savantes et populaires de Java, cet album présente trois compositions pour gamelan de la région de Surakarta. Le style subtil et les sonorités exceptionnellement légères du gamelan de Cour de Surakarta le distingue de celui de sa rivale Yogyakarta qui fait usage d’instruments plus lourds et plus sonores. De Debussy à John Cage, et récemment Benoît Delbecq dans le domaine de la musique improvisée, le gamelan a fasciné l’Occident en recherche de rupture avec sa propre histoire. Rien n’est plus éloigné en effet de nos traditions que cet ensemble où les percussions sont reines dans un univers évidemment non tempéré, où rythme, mélodie et couleurs entrent en composition dans des relations toutes nouvelles.
Rien n’est plus éloigné, pourtant, des violents contrastes de dynamiques et de vitesses, de la puissance ferraillante auxquels le gamelan balinais nous a accoutumés. La première pièce de musique sacrée, Gending Anglirmendung, se déroule entièrement dans un temps suspendu. Une voix féminine déploie sa mélopée soutenue en valeurs longues délicatement vibrées, traversant les sons discrets qui s’égouttent imperturbablement de percussions à peine effleurées pour résonner très librement dans un espace aéré, ouvert à l’infini et cependant intime, recueilli. Timbres cristallins et mats, pleins et creux, aigus et graves esquissent des symétries sonores d’une merveilleuse pureté. La chanteuse avance ainsi comme en rêve jusqu’au ralentendo final qui s’achève sur un intervalle exquis. Cette promenade vocale sous les dernières gouttes d’une averse alors qu’un arc-en-ciel accuse la transparence retrouvée du ciel n’est pas sans évoquer l’écho qu’il a suscité en Occident dans l’univers d’un Morton Feldman ou bien encore dans certaines pièces de John Cage.
Gending Tunggul Kawung perpétue cet enchantement d’un monde flottant, d’une tranquillité surnaturelle étalée, comme la précédente, sur l’échelle à sept degrés qui constitue le pelog barang. Ces deux pièces ont, de fait, une signification magique puisqu’elles sont supposées respectivement, amener la pluie, puis écarter sa menace.
Si elle ne se départit pas de ce raffinement tout de calme simplicité, la dernière pièce -la plus longue (31’28″)- est brièvement introduite par un une viole à trois cordes (rebab) qui souligne cette lente floculation d’une ligne grise, à peine ondulante, alors que revient la voix pour célébrer la vie et le génie du lieu. Embarqués dans une durée comme soustraite aux événements du temps, des pauses dans le chant ou l’accompagnement perturbe de la façon la plus douce, par le silence et la respiration, ce songe éveillé. Trouver en outre la traduction des paroles nous eût comblé. Cet art étrange et délicat ravit les sens en allégeant le corps, chasse l’événement d’un univers où règne une paix que l’on saura désormais trouver à portée de la main en ce don miraculeux du gending.
Nyi Cendaniraras (vcl), musiciens du Conservatoire de Musique Sekolah Tinggi Seni Indonesia de Surakarta. Enregistré à Surakarta (Java) le 2/01/2001